Savin-qui-fut-Chao-Mu

Légende 3 sur 8 de la série Les premiers contacts Éveillés/Gardiens
 

C’est alors qu’Uldren, le frère de la Reine, revint au Récif avec une nouvelle créature. Il l’avait tuée deux fois dans une embuscade, disait-il, et avait acquis la certitude qu’elle ne pouvait pas mourir. Elle avait un jour été un Éveillé, et, la reconnaissant, Mara abandonna momentanément ses plans pour la Cité des rêves et la regarda froidement.

« C’est un Gardien, dit-elle. Il s’appelait autrefois Chao Mu. » Il avait quitté le Récif seul, sachant qu’il ne pourrait jamais y retourner ou revoir sa famille, pour réparer un régulateur de climat en panne dans ce qui avait été le grenier à blé du désert de Gobi sur Terre. Il avait assuré ne pouvoir supporter l’idée de voir le monde s’étioler.

« Inclinez-vous devant la Reine », tonna Uldren en le poussant.

L’Éveillé le regarda, puis se retourna à nouveau vers Mara. « Votre Majesté, dit-il en s’inclinant. Je m’appelle Savin. »

« Vous ne vous souvenez pas de vos femmes ? »

Il ne s’en souvenait pas.

« Vous ne vous souvenez pas de votre enfant, qui a désormais cent dix ans ? »

Il ne s’en souvenait pas non plus.

« Vous ne vous souvenez pas de votre passion ? L’isolation de détecteurs très sensibles de tout excepté des radiations les plus infimes. »

Il ne s’en souvenait pas, mais il déclara pouvoir toucher les champs magnétiques et adorer ajuster les minuscules boucles des circuits dans sa robe. Il avait un enthousiasme sans borne pour la physique des particules.

« D’où vous vient votre loyauté ? »

« Votre Majesté, déclara Savin qui n’était autre que Chao Mu, mon Spectre m’a expliqué que je suis un Gardien du Voyageur qui renaquit dans sa Lumière. Je n’avais même pas un jour quand votre frère m’a attrapé. »

Et il fit apparaître de son corps une machine semblable à une sphère prise dans un cube brisé, qui s’agita de manière impertinente devant la Reine et lui fit un clin d’œil. « Vous engendrerez le courroux de tous les Gardiens de la Cité si vous nous retenez contre notre volonté, avertit la machine. Mais nous serions ravis d’être vos alliés, si tel est votre désir. La Cité ignore tout de votre existence, si ce n’est dans de vagues légendes des Éveillés sur Terre. »

« Parle-t-il en votre nom ? », questionna la Reine sur le ton du défi.

« Je parle en mon nom, répondit Savin. Regardez ! » Et il extirpa du vide quantique une singularité au cri perçant, qu’il tint entre ses mains avant de la condenser et de la faire disparaître.

« Êtes-vous foncièrement bon ? », interrogea la Reine.

« Je l’espère. », répondit-il. La Reine savait qu’il s’agissait là d’un mensonge ou d’une méprise. Elle connaissait la Relève et les actes cruels qu’elle avait permis d’engendrer. Cependant, les Spectres créateurs de la Relève avaient peut-être été détruits ou été devenus éclairés.

La Reine demanda aux Tékiennes d’employer leurs tests physiques et psychologiques les plus pointus afin d’évaluer les différences entre le Chao Mu dont elles se souvenaient et ce Savin, Gardien du Voyageur. Cependant, la Reine était avant tout curieuse de la réaction de son Ahamkara, qui avait commencé à saliver et avait adopté une forme plus attendue pour un Gardien : monstrueuse et pourvue de crocs.

« Nous devons savoir comment le tuer, murmura avec insistance son frère à Mara. Il y en a de nouveaux tous les jours. »

Savin le Gardien montra une grande capacité à se rendre utile. Sa nature profonde n’appréciait rien de plus que les tâches à accomplir, ce qui en faisait un allié précieux du Récif. Cependant, son Spectre semblait toujours en train d’observer, d’étudier et de lui faire son rapport. De plus, Savin était particulièrement avide. Pas d’une petite cupidité mesquine, mais d’un énorme désir dévorant d’obtenir matériaux et expériences qui feraient de lui un meilleur Gardien. À la recherche d’une « nouvelle capacité Super » ou d’une « façon d’accélérer les grenades », il testait sans cesse ses étranges pouvoirs de manières stupides, qui le laissaient brièvement pour mort. Il finit par se lasser des tâches triviales à accomplir au Récif, se plaignant des repaires dangereux, interminables et ennuyeux qu’il devait sécuriser. Il voulait se rendre sur de nouveaux mondes. Il sauta de nombreuses fois dans l’espace sans la moindre raison, comme si sa mort n’était rien de plus qu’un vulgaire nid-de-poule sur sa route. Obsédé par la récompense et l’efficacité, il préférait répéter mille fois une chose profitable plutôt que de gâcher ses efforts pour une nouveauté moins bénéfique.

Au terme de sa relation avec Savin, Mara avait conclu qu’elle n’aimait pas ce Voyageur et l’impact qu’il avait sur les êtres. Cependant, elle ressentait également une étrange parenté et une certaine sympathie pour ce dieu désespéré et acculé qui sacrifiait indéfiniment son peuple.

Elle finit par penser que la Terre se porterait peut-être mieux si le Voyageur venait à disparaître ou à être détruit. Même au Récif, elle avait l’impression de vivre près d’une torche dans une contrée sauvage et obscure, qui attirait de toute la galaxie des entités affamées aux yeux bien trop nombreux.

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Références