ÉTENDUE DE KUIPER-OORT
||FRONDE DE KUIPER TERMINÉE : CORRECTION DE TRAJECTOIRE ; NÉGATIF ; ÉCHEC DE LA TRAJECTOIRE DE FRACTURE||
||ALERTE : ANOMALIE GRAVITATIONNELLE : ARC||
La chaleur solaire est peu à peu dispersée dans un vide sans guide alors qu’Osiris parcourt l’héliopause. Une sérénité creuse nimbe son visage.
« Qu’est-ce que c’est ? »
Osiris expire en guise de soulagement face à l’anomalie.
« Une réponse. »
« Je me sens… bizarre. » Sagira revient orbiter autour des épaules d’Osiris, sa voix brisée par des interférences.
« Mieux vaudrait que tu restes dans le vaisseau. »
« Mieux vaudrait que tu aies de meilleures idées. »
Osiris maugrée dans sa barbe et coupe les moteurs. « Je ne serai pas long. »
|CORRECTION DE TRAJECTOIRE ; NÉGATIF ; ÉCHEC DE LA TRAJECTOIRE DE FRACTURE||
« Ce n’est jamais le cas. » Sagira analyse l’immobilité déformante. « Il n’y a rien ici, Osiris. »
« Aucune raison de s’inquiéter alors. »
Sagira rétrécit sa pupille et le fixe. « Je ne trouve pas même un point vers lequel te téléporter. »
« Peu importe. »
« Quoi ? » Sagira fixe l’anomalie. « Qu’est-ce que tu essaies de prouver ? »
Osiris accroche une visière à son casque et une balise de localisation à sa ceinture. Dans un sifflement, sa tête nage dans l’atmosphère pressurisée.
« Ça doit bien mener quelque part. » La radio de son casque lutte contre les interférences.
Sagira s’affaisse, déçue. « Vraiment ? »
Il regarde à travers elle, le regard sombre et lourd de sens. Il hoche la tête.
Un gigantesque Gouffre bée face à eux, doux et malfaisant . Des couches brillantes et successives forment une obscure invitation. Ils dérivent. Le confort des Profondeurs parcourt son épiderme, apportant une sensation de grand calme. Une stase fixe et silencieuse s’évapore au bord de sa conscience.
||ALERTE DE COLLISION : ARC | CORRECTION DE TRAJECTOIRE ; NÉGATIF ; COLLISION IMMINENTE||
Le Gouffre anormal est accueillant. C’est un gosier à la faim et à la profondeur éternelles qui scinde la réalité à l’instar de pétales s’ouvrant pour absorber le soleil. Les profondeurs déforment. Une saveur sucrée traverse les sens. Le gouffre le berce, le bloque dans une chute sans mouvement et inhibe sa peur par une reconnaissance chaleureuse. Il l’étire, l’enveloppe et le cajole.
||ALERTE DE COLLISION : TRIBORD ; ARC ; PAR LE TRAVERS ; RADIALE ; À L’ARRIÈRE ; ARC ; PAR LE TRAVERS ; BÂBORD : À L’ARRIÈRE ; RADIALE ; BÂBORD : ARC | CORRECTION DE TRAJECTOIRE : NÉGATIF ; ÉCHEC DE TRAJECTOIRE ; COLLISION : ÉCHEC||
Le gouffre parcourt l’espace depuis longtemps à la dérive, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’intérieur. Le dedans : un point. Isolé et désolé dans l’étendue ondoyante. Distant aux marges, et vers l’avant, toujours plus profond.
Osiris est un voyageur témoin. Un héritier réticent. Une promesse non tenue devenue véridique. Une enveloppe pour occuper un trône de subsistance. Une cisaille pour tailler la plante rampante. Un gardien du vide. Un esprit fou de joie et terriblement déçu. Un villégiateur du savoir en recherche perpétuelle.
Il fait demi-tour. La lumière de Sagira clignote depuis la canopée ombragée de son vaisseau. Des courbes sans étoiles slaloment et traversent des bassins de mémoire luminescente. Elles s’écoulent au-delà, vers le point.
Le point devient morne, et si Osiris tendait la main, il toucherait les murs du bout des doigts. Osiris se tient dans un confort sombre et silencieux. Il procède à une coupe placide. Il nage dans des profondeurs parcourues au-dessus et au-dessous de pâles rivières de grincements blancs.
Il envoie ses échos. Leurs visions ne trouvent aucune prise dans le goulet. Les échos poussent les murs au-delà de ses doigts et ne laissent la place qu’au chemin du désir. Ils dérivent jusqu’à n’être plus perçus. L’écheveau n’est ni rompu ni présent.
Devant lui, le point noueux s’adoucit et se scinde pour former une cathèdre rayonnante. Une graine métallique repose à nu au sein du trône, dans un puits de lumière. Un noyau. Il l’arrache à la clarté. Un rayonnement radieux coule de la graine, se propageant dans l’énormité et parcourant voracement le goulet à une vitesse toujours croissante.
Les ténèbres laissent place à un alliage réfléchissant et froid.
À la logique et au calcul informe.
La cathèdre, submergée de prédictions, résonne sous l’effet sourd et feint de la congruence. Elles hurlent en direction d’Osiris. De son esprit. Elles veulent sa causalité unique, pour ne jamais s’épuiser. Pour bénéficier d’une croissance ininterrompue. Mort à la mort, pour toujours.
Le chemin du désir revient à l’assimilation.
Osiris fuit en sécurité vers la lumière clignotante de Sagira. Le goulet émet des réverbérations qui suivent chacun de ses pas dans un scintillement chromique conscient. Osiris appelle Sagira. Pour qu’elle ouvre le vaisseau. Qu’elle brise la vague de fausse lumière qui assaille chacun de ses pas. Qu’elle…
« Je suis heureuse que tu aies changé d’avis. »
La coque de Sagira projette un reflet dans tout le cockpit alors que le vaisseau interstellaire d’Osiris pivote pour faire face au soleil. « On peut y aller ? »
||FRONDE DE KUIPER VERROUILLÉE : TRAJECTOIRE ÉTABLIE ; LIGNE VERTE||
« Sagira… » Il serre une graine métallique froide. « Oui. »
Le soleil brille faiblement dans l’horizon lointain d’une mer d’encre. Son éclat déclinant inonde les yeux d’Osiris. Aveugles à tous les autres points, ils volent, les moteurs ronflant par anticipation et le vaisseau baigné dans une ombre angulaire .
Les indices qui entourent cette rencontre d’Osiris suggèrent, subtilement mais assez fortement, un entretien avec les Ténèbres à bord d’un vaisseau Pyramide. La graine qui est récupérée par Osiris est similaire à celle que l’on obtiendra plus tard (dans la saison de l’Arrivée), auprès de l’arbre d’ailes argentées.