Mon cœur bat la chamade, mais je continue. Cet endroit que j’ai trouvé promeut la souffrance. La Ruche raffole de l’angoisse qu’elle déclenche. Elle ne me découragera pas. Cela fait des mois que j’ai quitté la Tour. Que puis-je rapporter de mon voyage ? Des impasses. Des murmures. Rien.
Quoi que prépare la Ruche, cela m’échappe. Chaque endroit sur lequel j’enquête promet d’apporter des réponses, puis me laisse tomber.
Si seulement celui-ci pouvait s’avérer utile.
Je me sens attirée près de tunnels de roche et de poussière qui se parent peu à peu de carreaux d’apparat. Quelque chose… cloche. Je n’ai pas encore rencontré un seul Esclave. J’en viendrais presque à m’estimer chanceuse, mais je sais qu’il n’en est rien.
Reste dans l’ombre. Utilise les colonnes et les piliers. La prudence ne suffit pas.
Je vois d’anciens parchemins. Des tablettes. Quelque chose ici saura se révéler utile.
Non.
Ce sont des gribouillages incompréhensibles. Aurais-je pu me tromper depuis le début ? Sont-ils aussi perdus que nous ?
Une brise légère disperse les parchemins. Une brise ? Sous terre ?
« Eris… »
Une voix portée par le vent. Sai ? C’est impossible.
Un rire provenant d’un couloir. Celui d’Ériana. « Reviens à nous, Eris. » Vell…
Ils sont tous morts. Ce n’est pas réel. Je ne me laisserai pas avoir par des ruses de la Ruche.
Le vent se lève, emportant avec lui la poussière et la suie des tunnels. Il aspire l’air de la pièce. J’arrive à peine à me tenir debout.
« Pensais-tu que ce serait si simple ? » Cette fois-ci, c’est Toland. L’écho de la voix se propage tout autour de moi.
Cette cruauté…
« Non, Sorcière . Je pensais qu’il… serait plus difficile… de te trouver. »
Un hurlement m’assaille. C’est un cri profondément gravé dans mon esprit. Pauvre Omar…
Je ne la laisserai pas me bouleverser.
« Dis-moi, Archentrope , maintenant que tu me tiens… que vas-tu faire de moi ? »
Ériana apparaît devant moi, montagne de roche et de sable. Comment ose-t-elle…
« Faire ? Enfant de la Ruche, ne vois-tu pas ? Nous sommes la même personne. Cela te déplait-il ? »
Je grimace de dépit. Enfant de la Ruche ? Est-ce donc ce que je suis ? Est-ce la raison pour laquelle je suis encore en vie ? Je refuse.
« Vous n’êtes pas plus de ma famille qu’un parasite l’est pour son hôte. Vous mourrez, comme votre frère avant vous. »
Elle glousse. Cela me retourne l’estomac.
« Si seulement tu avais observé la majesté noire qui sommeillait sous tes pas… »
Sous mes pas ? Ses paroles sont des demi-vérités tordues. Ne succombe pas.
La poussière et les débris volent furieusement dans les airs et me percutent. Je suis piégée dans un tourbillon. Ma poitrine se serre. Ma respiration se raccourcit. Je ne peux plus rien voir. C’est tout autour de moi.
« Être si proche et ne faire qu’égratigner la surface… Cela doit déchirer les filaments de ton esprit. »
La tempête commence à se calmer. Je crache la crasse, recouvrant la vue.
« Ouvre les yeux, Eris… »
Le monde qui m’entoure perd ses couleurs.
Alors que la poussière retombe, je m’aperçois que je ne suis plus au même endroit. Un soleil noir-vert se trouve dans le ciel, et un orbe lumineux flotte à distance .
Les Ténèbres m’entourent et je suis seule. Une nouvelle fois.
Une légende courte, mais extrêmement instructive.
(1) Eris s’entretient ici avec Savathûn. « L’aiguille noire », la « sorcière » et « archentrope » sont des qualificatifs qui lui ont déjà été attribués dans le passé.
La Reine-sorcière Savathûn, l’archentrope, la Reine des codes, l’aiguille noire, le membre le plus éminent de la Haute confrérie, l’émancipatrice des vers, la pièce manquante à tous les puzzles, celle qui assistera à la disparition du cosmos réduit à la taille d’un œuf ?
– Injection (Puissance de la vérité)
(2) Savathûn se moque d’Eris car elle ignore qu’un vaisseau pyramide (la « majesté noire qui sommeille ») se trouve sous la surface lunaire.
(3) A la toute fin, Eris est transportée dans le plan ascendant, et plus particulièrement, un monde du trône qui rappelle celui de Cropta. Le « soleil noir-vert » fait référence à une âme suprême (le dispositif qui permet à la Ruche de cacher sa mort). Quant à « l’orbe lumineux qui flotte à distance », il s’agit de Toland.