Manque

Légende 13 sur 13 de la série La sauvagerie de l'Âge Noir
 

Je suis la première Guide à être faite prisonnière.

La plus grande surprise n’est pas la capture, c’est d’être capturée par un Rebut.

Lorsqu’il me traîne, pieds et poings liés dans une cave humide à des lieux de ma colonie, je m’aperçois qu’ils sont trois. Je scrute alentour pour tenter de découvrir un Kall ou un Prêtre, quelqu’un aux commandes, mais non. Nous sommes seuls. Il n’y a pas non plus de Pique ou de réservoir d’éther, pas de bannière ou de Serviteur. Je suis assise sur un rocher et j’observe mes ravisseurs, plus perplexe qu’effrayée.

La honte d’avoir été capturée par une créature si petite et si jeune d’apparence, alors que nous avons réussi à défendre notre colonie contre leurs immenses Capitaines, vous donne une petite leçon d’humilité.

Le Rebut qui m’a attrapée joue avec un masque. L’un de ses compagnons l’observe, tandis que l’autre pointe sans conviction une lance cryo-électrique vers moi. Ils semblent hésitants. Nerveux. Ils n’étaient sans doute pas censés faire ce qu’ils ont fait.

J’attends patiemment que le Rebut attache le masque sur son visage.

« Toi », dit-il d’une voix crépitante et déformée. Je suis déconcertée. Ils ont réussi à fabriquer un traducteur. « Tu es la bouche de la grande machine. »

Des négociations ont été tentées depuis l’arrivée des Déchus sur notre Terre. Elles n’ont jamais abouti et se sont pratiquement toujours révélées fatales, mais elles se sont déroulées. C’est pourquoi je sais que certains membres de la Relève connaissent leur langue inconnue et que certains Déchus de haut rang connaissent la nôtre. Les Rebuts par contre, c’est une surprise.

Quant à… la « bouche de la grande machine »…

Hmm.

« Je l’étais », dis-je prudemment. Le Rebut plisse chacun de ses quatre yeux alors que sa technologie traduit mes mots. S’il comprend la distinction entre « Je le suis » et « Je l’étais », il ne le montre pas. Au lieu de cela, il hoche la tête.

« Tu nous diras les mots de la grande machine. »

Cela ne ressemble pas à un ordre. Je me demande si, avec une meilleure technologie, il aurait ajouté « s’il te plaît ».

Je ne dis rien. Si je leur révèle ce que je ne peux pas faire, ce que je ne sais pas, ils me tueront sans doute.

Les deux autres Rebuts se rassemblent autour de leur compagnon, l’observant avec impatience. Ils me regardent de temps en temps. Celle qui tient la lance a relâché sa prise et la pointe est dirigée vers le sol. Les Déchus ont des visages étonnamment expressifs. Ce que j’observe chez eux n’est pas de l’agressivité ou de la haine, mais une attente craintive.

Le Rebut portant le masque hoche à nouveau la tête, nullement découragé par mon silence. Cette fois, lorsqu’il parle, je peux entendre son espoir, même à travers le masque : « Pourquoi la grande machine nous a-t-elle abandonnés ? »

Je le fixe.

Toute la peur que j’avais pu ressentir s’est évanouie. Au lieu de cela, je ressens une douleur, partiellement oubliée dans le tumulte de la survie, et un profond lien envers ces ennemis qui nous ont poursuivis.

Ma voix est très basse lorsque je prends enfin la parole.

« Je ne sais pas. »

Les deux autres Rebuts observent leur ami, dans l’attente d’une réponse. Son visage se déforme sous l’effet de la confusion, puis de la déception. Il y a également de la colère, mais elle est masquée par quelque chose d’autre. Un chagrin très familier.

Nous restons assis en silence pendant très longtemps.

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Références