Mémoire de Spectre : l’Âge d’or

Légende 11 sur 11 de la série La terraformation du système solaire
 

« À quoi penses-tu ? », lui avais-je demandé.

« À quand je n’étais encore qu’un gamin », mon père me répondit.

« Quand c’était encore Avant ? », demandai-je encore.

« Oui. »

Il se pencha pour caresser mes cheveux. « Je me remémorais à quel point j’étais intelligent, à l’époque. Quand j’avais ton âge, j’étais un génie. »

« Tu es encore intelligent », lui dis-je.

Il éclata d’un rire franc.

« Regarde autour de toi », me dit-il.

Je regarde toujours autour de moi.

« Observe attentivement. »

Père se tenait à côté d’un immense bâtiment gris.

« C’est ce que je veux que tu regardes. », continua-t-il.

Le bâtiment n’avait ni porte, ni fenêtre.

« Sais-tu comment créer un bon mot de passe ? », me demanda-t-il.

« Je n’en suis pas certaine », lui répondis-je.

« Raconte-toi une histoire », me dit-il. « Une histoire que tu n’oublieras jamais, et qui te suivra partout toute ta vie durant. Laisse ton histoire prendre des détours et te réserver quelques surprises, assure-toi qu’elle t’appartienne vraiment, pour que tu puisses être la seule à en connaître tous les secrets. »

Père s’agenouilla devant moi, et rapprocha son visage du mien.

« Je veux te montrer quelque chose de spécial », me dit-il dans un souffle. « Quelque chose de rare. »

J’essayai de m’imaginer de quoi il pouvait bien s’agir.

« Non », me dit-il, lisant dans mes pensées. « Tu ne peux pas deviner. »

À l’intérieur de la bâtisse grise se trouvait un mur de diamant… La projection d’un ciel flottait au-dessus de nos têtes. Ce n’était pas notre ciel, normalement animé de métal et de lumière. Dans cette grisaille, aucun signe d’humidité. Aucun signe de vie, non plus. Jamais je n’avais vu un sol aussi désolé.

« C’était notre monde », me dit Père. « Quand j’avais ton âge. »

Je tendis la main et touchai le mur de diamant. Il regarda ma main se retirer d’un geste vif.

« C’est chaud ! », m’écriais-je, surprise.

Il ria gentiment.

Je secouai ma main meurtrie, et la douleur se dissipa.

« C’était le monde dans lequel nous vivions. La planète entière était une fournaise. Acide. Morte, à tous les niveaux. Et j’avais ton âge. »

Cette histoire de planète morte m’ennuyait. Je levai les yeux vers Père et lui demandai : « Pouvons-nous partir maintenant ? »

Il tendit la main pour me caresser les cheveux à nouveau, mais ne compléta pas son geste.

Tout m’ennuyait à mourir.

« Quand j’avais ton âge, les gens croyaient qu’ils savaient presque tout ce qu’il y avait à savoir. Nous avions des lois scientifiques et des vérités humaines, et même un modèle de l’univers. Les gens portaient sur leur cœur les images du passé et cherchaient à voir quelles difficultés leur futur leur réservait. Je ne savais pas tout, bien entendu. Mais quand j’étais un gamin, je m’attendais à vivre une vie courte, mais remplie de savoirs divers et vastes. »

« Et puis ce ne fut plus Avant. »

Je savais ce qui allait suivre.

« C’est l’époque à laquelle tout le monde, et en particulier les plus intelligents d’entre nous, réalisa que nous ne savions rien. Nous n’étions que des enfants et nos idées n’étaient que des jouets, et l’univers, lui, est composé d’idées géniales et renferme un potentiel incommensurable et magnifique. »

Père cessa de parler.

Je m’éloignai du mur de diamant.

« Sais-tu ce que je voulais te montrer ? », me demanda-t-il.

« Un caillou mort », lui répondis-je.

« Essaie encore. » Il était en colère contre moi.

Nous retournâmes à l’extérieur, sous le soleil, dans le monde réel. Je clignai des yeux et regardai autour de moi, surprise de constater à quel point tout était vert et scintillant. À quel point tout était merveilleux. Même le visage le plus triste paraissait heureux.

« Je sais ce que tu veux me montrer », lui dis-je.

« Ne me le dis pas », me répondit-il.

Et je ne le lui dis pas.

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Références