Le trajet jusqu’à la communauté du Seigneur de Guerre est à plusieurs jours au nord. Saladin en profite pour apprendre à la petite à piéger les lapins et à chasser du petit gibier. Là où elle voit un prédateur infliger sa volonté, il lui explique la pitié dont on fait preuve en donnant une mort rapide. Il lui dit que le loup ne chasse pas pour lui, mais pour sa meute. Seuls, ils sont misérables, poussés par l’instinct et la faim. Cette violence s’étend. C’est la promesse de la meute qui les rend authentiques. C’est l’ordre qui nous lie.
Ils bivouaquent à proximité du repaire de Jaxxen. Saladin prépare des bouts de viande filandreuse entre ses paumes luisantes et l’odeur du lièvre cuit remplit ses narines. C’est une prise du premier piège posé par Fera. Un butin qu’ils partagent en paix.
« Tu vois ? Ensemble, on peut se soutenir l’un l’autre. » Saladin donne une cuisse fumante à Fera. « Voilà comment on passe de la simple survie à la vie. La communauté, l’ordre, la loi. C’est comme ça qu’on peut aller de l’avant. »
« C’est quoi, la loi ? » demande Fera, la bouche pleine de lièvre.
« Ce sont des règles. Des promesses sur la façon dont on traite les autres. »
« Certains ne tiennent pas leurs promesses… » dit-elle en déglutissant.
« Les gens comme moi font en sorte qu’elles soient tenues. Tu pourrais faire ça, toi aussi. » Saladin voit sa confusion et poursuit : « Parfois, quand un Seigneur ne peut pas rester pour protéger un endroit, on nomme un vassal à sa place. »
Fera le fixe d’un air ahuri.
« Quelqu’un qui surveillera les bois pendant mon absence. Quelqu’un comme toi qui comprend pourquoi il faut tenir ses promesses. » Saladin détache une des chaînes autour de son cou. « Avec ça, tu fais partie de notre meute. Une louve. Et on se protège entre nous. »
« Comment ? » demande-t-elle en serrant fort le talisman que Saladin est en train de lui nouer autour du cou.
« Comme toi, d’autres chercheront un endroit. Trouve-les. Ramène-les au village que tu as volé. Promettez-vous de vous protéger. Voilà comment. »
Au matin, Fera emmène Saladin au bord du camp de Jaxxen où les bois cèdent la place à des pierres tranchantes et à de la terre sèche. Le Seigneur de Fer lui demande d’attendre son retour à leur camp. Il pénètre dans le repaire alors que des cris d’alarme font sortir des défenseurs. Fera se retire derrière les arbres, mais elle ne part pas.
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Fera regarde le Seigneur de Fer découper corps après corps avec une efficacité brutale. C’est une bête sauvage, grisée par le sang. La jeune fille dévore chaque image violente produite par sa hache et son trait rouge brûlant. Elle se délecte de le voir ignorer toutes leurs suppliques. Ses yeux grands ouverts se remplissent d’éclairs, de flammes et de sang. C’est un tableau qui peint un équilibre purificateur. Bien qu’elle ne connaisse pas ces mots-là, c’est une volonté vengeresse qui s’installe en elle. La bête est le châtiment de Jaxxen pour ses méfaits : la promesse d’un ordre imposé par la domination.
Fera frotte son talisman quand apparaît le Seigneur de Guerre Jaxxen, entouré d’une aura de Lumière améthyste. La peur s’immisce brièvement dans son cœur quand elle l’entend rire et charger son assaillant, mais il tombe lui aussi sous cette même colonne de foudre destructrice issue du grondement tonitruant de la bête. Il ne reste que le crépitement de ses os carbonisés dans les cendres.
Elle sourit.
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Saladin se tient au bord du camp de Jaxxen incendié. Il regarde la terre brûlée par la foudre, là où se tenait Jaxxen, et invoque Isirah.
Isirah analyse les répercussions. « Bien. Mais tu vas laisser la fille vivre ? Voler de la nourriture et attaquer un Seigneur de Fer sont des crimes passibles de mort. Tu ne comptes pas réagir ? » Le doute d’Isirah est palpable. Saladin sait qu’elle a vu à quel point les choses peuvent vite changer. « Tu procrastines », fulmine-t-elle.
« Fera est assez jeune pour se trouver un avenir différent, dit Saladin en regardant Isirah. Comme je l’ai fait. »
Isirah bourdonne d’exaspération. « Le monde est plein d’orphelins rebelles, Forge. Ton travail est de faire respecter les lois de Fer, pas d’en interpréter les zones d’ombre ».
« Je suis un Seigneur de Fer et j’interprète nos lois comme je l’entends, réplique-t-il d’un ton sec. Nous allons récupérer la batterie et la rapporter à Kepre avec la truie. Puis nous partirons. » Sa voix est austère et inflexible. « C’est terminé. »