Comment était-ce ? De chasser le Corbeau, de le traquer à travers la jungle enchevêtrée du Récif ? De pourchasser les Barons, un par un, de pister les assassins qui ont tué votre ami ? Était-ce la justice qui vous animait ? Ou la colère pure ? La vengeance poussée par une soif de « justice » ?
Je connais ce sentiment, cette sensation de perte suivie d’un vide si grand que rien ne peut le combler, si ce n’est le châtiment. J’ai ressenti ce vide deux fois. La première, lorsque tout ce que j’avais connu fut réduit en cendres. Je n’étais encore qu’un enfant à l’époque. Je n’avais aucun moyen de savoir quand la douleur cesserait, ni même si elle prendrait fin un jour. Un homme, Jaren, mon troisième père, m’aida à canaliser cette douleur. Il me donna un but. Il m’apprit à chasser, à survivre, et me parla de la vengeance.
Cette merveilleuse sensation semblable à un feu intérieur. Du moins c’est ce que je croyais. En réalité, cela ne faisait qu’atténuer la douleur. Je couvrais le fardeau de ma perte grâce à la canalisation de mon attention. Pourquoi être triste ? Pourquoi être brisé ? Alors que l’on peut être en colère. Et je l’étais. Je l’ai été pendant très longtemps.
À la mort de Jaren, tué par le soi-disant monstre et son arme de malheur, je l’ai haï pendant un temps. J’étais à nouveau seul, perdu. Je ne savais plus où aller. Je me suis senti abandonné, seul avec le trou ouvert par la perte de tout ce que j’avais connu.
Et l’homme qui avait détruit deux fois ma vie, la première en incendiant Palamon, mon foyer, et la deuxième avec le meurtre de mon mentor et ma figure paternelle, courait toujours dans la nature. Mais je n’étais qu’un jeune homme en colère et effrayé. La vengeance, mon feu intérieur, était un poids, pas une consolation. Je manquais d’assurance pour la mener à bien.
Je suis resté longtemps en colère : j’en voulais au meurtrier qui agissait depuis les ombres, à Jaren de m’avoir abandonné, au monde, à moi-même d’être perdu, au Spectre de Jaren qui n’a pas cru en moi… Ma colère me définissait. Et cela a également été le cas de la vôtre pendant un court moment. Ce que je me demande, c’est si vous avez déjà considéré…
Que la mort de Cayde n’était pas l’origine de votre récente agressivité, mais simplement le catalyseur de sa libération. Avez-vous déjà cru possible que votre deuxième vie ait été entièrement motivée par la vengeance ? Pour la vie que vous avez perdue avant de revenir parmi les Gardiens, pour le monde… les mondes perdus lors de la Chute. Vous battez-vous réellement au nom de la protection et la réappropriation, ou ne faites-vous seulement que vous venger ?
Qu’est-ce qui vous pousse à vous battre désormais ? Votre colère vous définit-elle ?
Quelle que soit la réponse à cette question, quelles en sont les conséquences ? Demandez-vous sincèrement et de façon honnête… Pour quoi vous battez-vous ? Pouvez-vous sentir un feu, ou juste une étincelle, se développer en vous ?
– S.