Une femme aux mains noueuses et au visage marqué par le temps était assise seule dans un canapé, profitant de la faible lueur d’une ruine de l’Âge d’or. Elle retint une quinte de toux en observant les anciens écrans sur les murs et le plafond, qui dirigeaient les visiteurs vers des bureaux vides ayant appartenu à des personnes depuis longtemps trépassées.
Le silence était total, et il faisait sombre et froid. La femme pensa qu’il valait mieux s’en aller. Cependant, à l’extérieur, de l’autre côté des portes derrière elle, une pluie acide torrentielle s’abattait sur les rues d’une ville morte.
Elle avait voyagé pendant des semaines, et aujourd’hui, elle avait mangé la dernière ration de nourriture hermétique d’un distributeur rencontré à quelques kilomètres de là. Si elle pouvait y retourner, elle y retournerait. Elle avait emporté tout ce qu’elle avait pu porter, mais la machine en contenait encore. La vie durant l’Âge d’or avait dû être un paradis.
Pour l’instant, elle n’avait ni faim ni peur. Cela la changeait de son quotidien et elle appréciait un tel répit.
La pièce s’étendait sur une centaine de mètres devant elle, donnant accès à d’innombrables rangées de portes ne menant nulle part.
Il y avait suffisamment d’espace dans ce bâtiment pour abriter un millier de familles. Pendant un court instant, elle se mit à regretter que sa fille et sa petite-fille ne soient pas là, avec elle. Elles avaient débuté leur voyage ensemble, il y a des mois de cela à Varuna, mais elle les avait incitées à partir devant, leur confiant ses provisions. Celles-ci étaient lourdes et elle était trop lente.
Des rumeurs parlaient d’une colonie grandissante située dans l’ombre du Voyageur, et l’objectif était de s’y retrouver.
C’était du moins ce qui était prévu. Elle se frotta les mains pour se réchauffer.
Elle toussa.
Quelque chose grinça immédiatement au loin. Une porte fut ouverte avec précipitation, et des bruits de rixe en sortirent.
Elle se releva du canapé et recula lentement, extrayant un surin de plastacier d’un fourreau attaché à sa cuisse. Cinq silhouettes aux yeux scintillants émergèrent des ténèbres et se précipitèrent sur elle, armes au poing. Deux couraient comme des hommes massifs pourvus de quatre bras, tandis que deux autres, plus maigres, rampaient sur le sol. Le dernier était plus petit, de la taille d’un humain environ. Il laissa échapper un hurlement qu’aucune bouche terrienne ne pouvait produire.
Elle espéra que son enfant et sa petite-fille vivaient encore et leva son arme en un salut silencieux.
Les portes coulissantes derrière elle s’ouvrirent à toute vitesse, et un disque violet trancha l’air au-dessus de sa tête, chantant telle une épée sortie de son fourreau. Trois des créatures disparurent en hurlant dans l’abysse, tandis que le disque de Lumière rebondissait contre les murs du couloir.
Lorsque la femme regarda par-dessus son épaule, un monstre de fer illuminé d’une énergie abyssale incandescente sauta au-dessus d’elle.
Il se déplaçait d’une grâce en totale contradiction avec sa taille, et attrapa l’une des bêtes restantes par le cou alors qu’elle bondissait sur lui. Il prit de l’élan et bam ! Après avoir reçu un coup de heaume du Gardien, la chose devint flasque. Son compagnon bondit, armé d’une épée cryo-électrique, mais il s’avança et le frappa dans le genou afin de le ramener à une taille raisonnable, avant d’armer un nouveau coup, et bam ! Bam ! Bam ! Il pilonna le heaume ailé de la bête avec le sien. Elle retomba, morte.
Le couloir fut replongé dans le silence.
Il se retourna et demanda calmement : « D’où venez-vous ? »
« Patch Run », répondit la femme.
Il hocha la tête. « Lin m’a envoyé vous chercher. »
La femme gloussa et rengaina son arme. « Elle était censée aller auprès du Voyageur. »
« Elle y est arrivée. Elle est là-bas », répondit-il. « Elles y sont toutes les deux. » Il leva une main gantée, entourée d’un tissu violet, et appuya sur un bouton de son casque. « Un vaisseau sera bientôt là. Nous vous amènerons à la maison. »
« Qui vous a donné ce ruban ? »
« Une vieille amie. Elle doit avoir votre âge maintenant. »
« Combien de temps vivez-vous ? »
« Nous ne le savons pas. »
La femme l’observa, puis déchira un morceau de sa manche couleur lavande. Elle s’avança et l’attacha à une charnière de son épaulière.
« Pourquoi ? »
« Votre amie est rusée. Si je laisse cela avec vous, je vivrai à tout jamais. »
Il ricana. Elle n’en fit rien.
« Laissez votre empreinte sur ce monde », déclara-t-elle. « Ne gâchez pas le temps que vous avez. »
« Oui, madame », répondit-il.
Ils restèrent silencieux un moment.
« Tout cela ne vous importune pas ? », demanda-t-il en montrant les corps et la tempête qui faisait rage à l’extérieur.
« Tout m’importune », répliqua-t-elle en s’asseyant à nouveau dans le canapé.
« Quel est votre nom déjà ? »
« Mei. »
« Je m’en souviendrai. »
Ils écoutèrent tomber la pluie en attendant.