Construction

Légende 2 sur 8 de la série Les premières pierres de la Cité
 

Vous êtes la dernière étoile.

Dans vos rêves, vous vous voyez suspendu dans une Lumière éclatante mais vacillante, observant un monde à demi détruit. Vous contemplez des milliers de morceaux de vous-même dans ce monde, chancelant tels des nouveau-nés, errant dans des ruines labyrinthiques qu’ils ne comprennent pas.

Pendant un instant, vous sentez en vous tout ce qu’ils ressentent. L’euphorie du succès, la douleur de l’échec, le souffle de la mort, la surprise de la renaissance. Vous ressentez tout cela à la fois.

Je suis le dernier Guide.

Je suis l’enfant de deux exils volontaires, et je vis dans une colonie à l’ombre d’une montagne surplombante. Nous sommes environ 300, et nous vivons ici depuis pratiquement sept ans. Lorsque nous sommes arrivés, nous étions sous le commandement d’un Seigneur de Guerre nommé Cathal. Le prix de sa protection était élevé : un tiers de nos provisions et l’enrôlement de pratiquement la moitié d’entre nous à sa cause. Sa protection était de plus limitée. Les Seigneurs de Guerre se servaient de notre vallée comme d’un champ de bataille, s’y écrasant tels des géants incapables de voir les vies qu’ils brisaient. Mais ils le pouvaient. Ils nous voyaient. Simplement, ils s’en moquaient.

Les Seigneurs de Fer ont chassé Cathal il y a environ un an, et nous vivons depuis dans une relative indépendance, vaguement surveillés par nos sauveurs de la Relève. Nous avons voté pour cela. Les Seigneurs de Fer nous ont sauvés, mais ils ne seraient pas différents des Seigneurs de Guerre s’ils voulaient également nous diriger.

Désormais, nous négocions avec l’une d’entre eux, une femme nommée Dame Éfridite.

« Vous êtes libres de décider ce qui vous convient, explique-t-elle, mais si vous dites oui, vous aurez une escorte armée. »

Trois autres personnes sont assises avec moi : notre maire élue, notre médecin le plus expérimenté et le plus ancien des résidents. Nous sommes ceux que la colonie a choisis pour la représenter. À mes côtés, un Spectre argenté tourne dans sa coque, flottant au-dessus de mon épaule et observant Éfridite. Il me suit depuis plus d’un an maintenant et n’a toujours pas trouvé son élu. Il me tient bonne compagnie.

|| J’ai tant donné de ma personne déjà, mais je me donne encore. Je deviens un phare. J’appelle mes enfants à moi. ||

« Une population rassemblée comme celle-ci, dans un même endroit… » entame notre maire. Elle semble lasse. Elle occupe cette fonction depuis pratiquement soixante ans. « Cela attirerait les Seigneurs de Guerre comme des mouches. »

« Ne vous inquiétez pas pour les Seigneurs de Guerre » réplique Éfridite avec l’assurance de quelqu’un qui ne comprend qu’à moitié nos préoccupations. « Leurs jours sont comptés. Leur façon de vivre est incompatible avec le Décret de Fer, alors… » Elle hausse les épaules.

Nous ne pouvons partager sa nonchalance, mais je crois que je lui fais confiance. Je fais confiance aux Seigneurs de Fer. Ils ne nous ont pas donné de raison de douter d’eux.

Je l’interroge. « Comment la ville serait-elle gouvernée ? »

Éfridite hausse à nouveau les épaules. « Il me semble que c’est le genre de choses pour laquelle vous devriez voter. » Elle pianote sur la table, légèrement impatiente. « Nous bâtirons l’endroit et y assemblerons les gens. Nous pouvons défendre les murs, mais nous n’allons pas dicter ce qui se passe à l’intérieur. C’est une entreprise commune. Une collaboration. »

Mes compagnons échangent des regards, soupesant le pour et le contre.

Éfridite nous observe. Comme la plupart des membres de la Relève, elle tente d’avoir l’air impassible. Mais si vous l’écoutez attentivement, elle essaie de nous convaincre. Elle tient à cette idée. « Écoutez, dit-elle, les membres de la Relève et les autres humains ont vécu séparément bien trop longtemps. Nous sommes tous du même peuple. C’est tout ce que les Seigneurs de Fer essaient de dire. Nous devrions vivre ensemble. » Elle fait une pause. « Nous avons des choses à nous apprendre. »

Deux semaines plus tard, après avoir emballé tout ce que nous pouvions porter, nous quittions l’endroit pour aller bâtir la dernière Cité sur Terre.

|| Je souhaite que quelque chose croisse dans mon ombre. ||

  ◄ Légende préc.Légende suiv. ►

 

 

Références