« Le cœur… » Uldren réfléchit à la question de sa sœur. Au bout d’un moment, ses souvenirs deviennent confus. Il courait à travers un bosquet épineux, les branches et les épines lacéraient ses joues. De gros fruits giflaient ses épaules et explosaient en libérant une pulpe trop mûre. Des fruits à la forme de lourds Spectres enflés. Il s’est recroquevillé avec Jolyon sous une épaisse toile d’araignée, retenant son souffle alors que des voix se querellaient à proximité. Les battements de son cœur… étaient-ce vraiment les battements de son cœur ? Ou ceux d’un autre ?
Il était dans un bloc d’appartements. Il se souvient de ça. Il était assis dans une buanderie, un endroit avec un sol au carrelage à damier noir et blanc, observant ses corbeaux chuter encore et encore dans le sèche-linge, dans un déluge de plumes noires et un vacarme de claquement de becs. Une Cabal grande et vieille était assise dans la baignoire à sa gauche, frottant son dos avec une brosse métallique. Une Gobeline vex avec le visage d’Alis Li sur l’estomac se tenait derrière un comptoir et vendait de la lessive. « Uldren, dit-elle, vous avez un trou en vous. » La Cabal approuvait d’un grognement. Il baissait les yeux pour s’observer et découvrait un trou noir parfaitement rond dans sa main . Le sèche-linge s’arrêtait de tourner, mais ses corbeaux étaient encore mouillés.
« Uldren. », dit Mara en le remuant. D’ordinaire, elle ne touchait personne. « As-tu vu le cœur ? »
Cela semble la chose la plus naturelle du monde qu’un jardin ait un cœur. « Les Vex infestent l’endroit, répond-il. Il leur donne quelque chose dont ils raffolent. Il… les fait pousser vers ceux qu’ils veulent être. »
« Tu n’as pas répondu à la question », réplique Mara froidement. C’est une observation tout à fait raisonnable. C’est la chose la plus étrange qu’Uldren l’ait jamais entendu dire.
« Quoi que soit le cœur de cet endroit, dit-il lentement, c’est une graine, je pense, une graine laissée là pour pousser. Comme un… un nodule de Lumen. Ou…, l’idée le frappe comme le tonnerre, ou un fil de détente. Un appât fait pour attirer ceux qui cherchent et détruisent ce qu’ils ne comprennent pas. »
Un appât pour les Gardiens. Un appât pour marquer un certain jalon dans le rétablissement du Voyageur .« Je t’ai demandé de ne jamais aller là-bas », s’exclame Mara, le regard incendiaire. Elle resserre sa cape. « Ne m’es-tu pas dévoué ? »
« Ma sœur, réplique-t-il, bien sûr que si. »
« Et pourtant, tu me défies. »
Oui, pense Uldren. Ne sont-ce pas là la même chose ? Comment est-il possible de tenir à quelque chose si celle-ci ne vous surprend jamais ?
Il se sent tout à coup extrêmement seul.
Mara Sov (alors qu’à notre connaissance elle n’est jamais entrée dans le Jardin Noir) était déjà au courant de la présence du Cœur de Ténèbres. Est-ce la Machine Oracle qui le lui avait déjà montré ? On en sait pas, mais une fois de plus, c’est un fait qui démontre à quel point la Reine a deux coups d’avance.