« Mara ! » hurle le combattant ravi avant qu’un puissant coup de poing ne l’empêche de continuer. C’est un bon geste, un uppercut tonitruant au bout de la mâchoire. Mara entend ses dents grincer les unes contre les autres, les lèvres ouvertes, les gencives déchirées. Elle grimace silencieusement en signe de sympathie. Il perd son emprise sur le casier à équipements et chute en apesanteur, libérant un grand arc sanglant. Son adversaire s’apprête à porter le coup de grâce, s’élance avec force et le frappe de plein fouet dans l’estomac à l’instar d’une torpille humaine. Ils plongent ensemble vers la zone d’exécution peinte au sol.
Uldwyn sourit bizarrement à Mara par-dessus l’épaule de son adversaire. Il affronte une grande femme brutale de la division en charge de la gravité, une femme dont les gènes de la myostatine ont été inhibés, ce qui a fait d’elle une masse de muscles géante. Uldwyn n’a aucune chance. Il a accepté le combat pour la même raison qu’il a souhaité rejoindre l’expédition Amrita : il ne s’estime qu’à travers la bravoure de ses pertes, qu’à ce à quoi il peut survivre en perdant.
Il applique un étranglement sanguin. C’est le mouvement idéal, mais cela n’a plus d’importance. La femme grogne, sa vue se trouble et elle sombre dans l’inconscience, mais Uldwyn ne peut pas se dégager de son inertie avant d’atteindre la zone d’exécution. La cloche retentit. Uldwyn gémit alors que son corps contracté décélère de force la totalité de la masse de son adversaire. Il se trouve sur la trajectoire de l’élan de son adversaire.
« Qu’as-tu perdu ? » lui demande Mara.
Il est étendu haletant et grimaçant, et perd des sphères de sang parfaitement rondes. « C’est un plaisir de te voir à l’intérieur. Qu’est-ce qui t’amène ? »
Elle et son frère jumeau ne répondent jamais directement aux questions de l’autre. Mara s’en contente tout à fait car elle se doute que les mots sont un système de cryptage très mauvais, et que pour communiquer réellement avec quelqu’un, mieux vaut développer son propre cryptosystème personnalisé. Dans le meilleur des cas, selon Mara, ce système devrait uniquement être déchiffrable par la personne à laquelle il est adressé, et uniquement dans le cas où celle-ci saurait que c’est vous qui lui parlez.
« J’ai quelques images pour toi », dit-elle en poussant la femme qui se trouve encore sur lui, ce qui lui vaut un « Oh, salut Mara ». « Des captures de tous les détecteurs. Tu peux les échanger contre les pièces dont j’ai besoin. »
Uldwyn aide la femme à se remettre à la verticale, mais ses yeux sont figés sur Mara. Non pas qu’il rechigne à l’idée de l’aider, car il a toujours aimé le troc, le marchandage et la vente, mais il sait quel genre de personnes sur le marché noir veulent ce type de captures. « À quelle distance de la coque les as-tu prises ? »
À quelle distance ? La plus lointaine. Elles ont été prises en apesanteur parce que le Yang Liwei avait coupé ses moteurs pour un cycle d’inspection. Tandis qu’Uldwyn s’adonnait à des combats, Mara se projetait du bouclier avant du Yang Liwei et avançait de dix kilomètres dans le vide sidéral, uniquement reliée au vaisseau par une ligne moléculaire ultra fine. Elle ordonnait au cytogel de sa combinaison de se rassembler autour de son visage, puis, elle forçait toutes les mesures de sécurité de sa combinaison et lui ordonnait de passer en mode stockage.
La combinaison se retirait comme une écorce, et elle dérivait dans le vide.
Celui-ci faisait bouillir l’eau à la surface de sa peau. Son corps enflait à cause de la pression non contrôlée, jusqu’à ce que sa sous-combinaison ne l’arrête. Le cytogel alarmé s’enfonçait dans sa gorge, libérant de l’oxygène de secours, mais elle en manquait et sa peau était bleue, cyanosée. Elle était bercée par la vacuité la plus profonde.
Elle enregistrait tout au niveau neuronal. Les exquises ténèbres. Le sentiment de l’indépendance fatale de toutes les choses. Certains sont prêts à tout pour ressentir ce vide.
« Tu ne peux pas continuer à faire ça, gémit Uldwyn alors que la femme fixe Mara d’un regard émerveillé, maman va finir par mourir d’inquiétude. »