« Je me moque des risques que tu prends, soupire la mère de Mara, cela fait partie de l’accord que nous avons, ma petite étoile blonde… »
« Maman ! », proteste Mara.
« Mon tube de mastic terminé, ma douce tache de peinture… »
Osana aime comparer Mara à des petits objets pestilentiels qui dérivent près du vaisseau, comme des cristaux d’urine gelée. Selon Mara, Osana est l’apogée d’un projet vieux d’un siècle ayant pour objectif de créer la mère embarrassante ultime. Elle est aussi très directe : « Mara, même lorsque tu étais petite tu voulais être traitée en adulte. C’est ce que j’ai toujours fait. Mais tu te souviens de ce que je t’ai dit, n’est-ce pas ? Si tu ne veux pas être ma fille, je ne peux pas veiller sur toi comme une mère le ferait. Je ne peux pas penser d’abord à toi comme une mère le ferait. Je serai toujours ton amie, mais je dois aussi faire mes choix. »
« Mais ça ne voulait pas dire que tu devais en parler au Capitaine ! »
Elles marchent côte à côte dans les escaliers qui mènent au quartier de la Capitaine Li. Mara tente de prendre les devants, de mener la marche, mais Osana la rattrape toujours inexplicablement. « Bien sûr que si, répond Osana. Tu as lancé un culte, Mara. Si je n’en avais pas parlé au Capitaine, c’est avec la section comportementale que tu aurais cette discussion en ce moment. C’est ce que tu préfères ? »
« Je n’ai rien fait. Les gens aiment mes captures. Les gens me laissent des cadeaux, des pièces détachées, des pourboires… et puis Uldwyn est entré là-dedans. Tu sais comment il est… »
« N’y pense même pas ! » Osana se retourne vers elle. « Quelle honte, Mara. Tu sais très bien que ton frère te suivra où tu le conduiras. Tu sais qu’il est incapable de montrer la même, euh, ses lèvres se tordent, retenue impériale que toi. Tu savais qu’il se vanterait d’avoir une sœur vivant sur la coque, et tu l’as laissé faire. C’est une chose d’avoir un certain pouvoir sur les gens Mara. Mais c’en est une autre de nier qu’on l’utilise. »
Mara pense avoir le temps de trouver une réplique cinglante vu leur rythme de marche, mais il est déjà trop tard. La trappe vers les quartiers de la Capitaine Li s’ouvre tout à coup. Mara est terrifiée par cet endroit. C’est là où la Capitaine Alice Li, la présence divine dans la vie de Mara, communique avec les officiers qui ne sont que des manifestations de sa volonté. Comme Mara souhaite devenir Alice Li un jour, sa présence dans ces quartiers lui donne l’impression d’être une princesse usurpatrice qui étudie la cour de sa rivale.
La Capitaine leur offre du thé. Mara ne peut imaginer de quelle manière elle souille ce qui doit être une cérémonie du thé complexe et chargée de sens. Li attrape des céramiques très usées datant de l’époque avant le Voyageur et verse dedans du thé vert extrêmement chaud. Dans sa tasse, elle verse immédiatement du lait provenant de la Pseudo-vache sur le pont biologique.
« Affreux, n’est-ce pas ?, dit-elle en souriant à Mara qui est figée d’effroi. Vous auriez dû voir ce que je mettais dans mon thé lorsque je campais en Mongolie. J’ai cru comprendre que votre collègue, qui est aussi votre mère, a quelques inquiétudes concernant votre relation avec le reste de l’équipage ? »
« Ma chère Mara, explique Osana, a… tout à fait par accident j’en suis sûre, entretenu une réputation de divinité mineure. Ses captures de l’extérieur du navire sont très recherchées. Certains en font des illustrations. D’autres laissent… des pourboires à son intention. »
« Vous prenez des captures lorsque vous êtes à l’extérieur du vaisseau ? Et parfois même sans combinaison ? » Li hoche la tête. « Oui, j’en ai regardé une. Une sensation tout à fait remarquable. » Mara arbore immédiatement un sourire impétueux. « Mara, vous êtes une Auturge, une volontaire. Je ne peux pas vous ordonner d’arrêter, et votre travail est exemplaire. Mettez-vous quelqu’un d’autre en danger avec vos… projets artistiques ? »
« Non, répond Mara, seulement moi. »
« C’est faux !, réplique Li instantanément, voilà une réponse bien égoïste. Vous êtes désormais un symbole pour mon équipage, un genre de déesse du vaisseau. Si vous veniez à mourir, ils perdraient quelque chose d’important pour eux, quelque chose d’humain qu’ils ont créé à partir de la solitude et du vide. Ce serait un rappel inoubliable du néant hostile qui nous entoure. Lorsque vous vous mettez en danger, vous mettez en danger ce symbole. Vous faites partie de l’armure comportementale de cette mission, Mara. »
Mara est abasourdie. Elle n’avait jamais vu les choses sous cet angle. « Tout ce que j’ai fait, c’est prendre quelques captures. Je n’ai pas demandé à être la… mascotte de tout le monde. »
« Vous vous êtes présentée comme un conduit vers un savoir secret, répond la Capitaine Li. Les gens ont fait quelque chose de vous, Mara. Veuillez considérer ces paroles venant d’une Capitaine de vaisseau : ce que les gens font de vous, ce qu’ils créent à partir de vous, et ce même sans votre accord, devient de votre responsabilité. Si la Mara qu’ils voient lorsqu’ils vous regardent est une bonne chose pour eux, alors vous avez le devoir d’être cette Mara. » Elle se tourne vers Osana. « Et votre fils ? Il se retrouve à l’infirmerie bien plus souvent que tous les autres combattants clandestins. »
Bizarrement, Mara n’est pas surprise de découvrir que la Capitaine Li est au courant des combats. « Mon fils, répond Osana, est déterminé à être son pire ennemi. Merci d’avoir pris le temps de nous recevoir. »
« Il n’y a pas de quoi. » Li les étudie calmement. « Je reste toujours à l’affût des… personnalités hors du commun. Des personnes qui pourraient s’adapter à un long isolement pendant que nous sommes tous en cryo. Des personnes éveillées pendant que d’autres dorment. »