Le peuple du Défluent crût prudemment. Avec joie et constance, leur qualité s’accrut aussi. Ceux qui ne meurent pas sont aussi malléables et passionnés que les jeunes, aussi calmes et constants que les adultes, et aussi sages et humbles que les meilleurs des anciens.
Mais comme toujours, les Éveillés étaient troublés par la mort. Il était aisé d’imaginer un monde plus ancien et plus rude que le Défluent, un monde peuplé de concurrents où les Éveillés à l’évolution lente et à la vie paisible seraient impuissants face à des espèces éphémères et austères, adaptant leurs caractéristiques à chaque nouvelle génération rapidement créée.
Pourquoi les Éveillés avaient-ils été épargnés par la mortalité ? Avaient-ils été récompensés pour le courage et la fidélité dont ils avaient fait preuve dans une existence antérieure comme le professaient les Sanguins ? Ou les Eccaléistes avaient-ils raison ? Tous les dons du Défluent, toutes les étoiles à l’éclat laiteux et toutes les années de vie d’un Éveillé pouvaient-ils être une forme de couardise ? Y avait-il un combat en attente au cœur de l’âme éveillée ? Un devoir qui devait encore être exécuté ?
La Reine Nguya Pin restaura l’importance de la monarchie par rapport aux scribes de Gensym. Elle accomplit cela le jour du solstice d’été, à la suite d’une visite fatidique par une femme encapuchonnée et masquée. Certains affirmaient qu’il s’agissait de Mara Sov, d’autres de la Diasyrme depuis si longtemps disparue. Pendant neuf et quatre-vingt-dix ans, une figure rhétorique servant à exprimer une longue durée, la Reine n’avait eu autorité que sur les arts et les affaires spirituelles. Cependant, la Reine Nguya Pin déclara qu’elle était désormais une Eccaléiste avérée, et que la Reine mènerait cette quête d’identification de la dette que les Éveillés avaient contractée envers le cosmos. L’heure était venue de réaliser un rêve chéri par tous les Éveillés : la conquête de l’espace et l’évaluation de la forme et de l’âge véritable de leur univers.
L’ancienne cour de la Reine offrit aux scribes de Gensym une place où déposer leur orgueil et agir en égaux. Rapidement, les plus grands ingénieurs du monde s’assemblèrent à la cour de la Reine, et toute demande de richesses ou de ressources leur était immédiatement accordée. Des torrents d’hommes et de femmes se déversaient autour du palais et hurlaient des propos concernant des statoréacteurs et des apoapses jusque tard dans la nuit, s’éveillant avec l’odeur des cafetières de café noir pour marmonner des choses sur les tenseurs métriques et l’anisotropie des micro-ondes cosmiques.
Sjur Eido apparut au milieu de ce bouillonnement d’idées, cherchant la femme qui avait converti la Reine Pin à l’Eccaléisme. Sjur bouillait d’une fureur ancienne, car la vendetta éternelle était une autre de ces choses que les immortels pouvaient nourrir.
Sjur Eido déduisit qui au sein de la cour royale pouvait être Mara Sov déguisée. Elle suivit la silhouette encapuchonnée jusqu’à son laboratoire et observa Mara souder un bolomètre de fortune pour rechercher des signes de vagues de gravité primordiales. La fureur et la peine de Sjur Eido s’affûtaient contre la beauté ancienne et la grâce irréfléchie de Mara.
Son cœur finit par rompre et toute sa fureur fut libérée en un cri. « Mara Sov !, hurla-t-elle en lançant son laser de matière entre elles. Je ne peux vivre si vous vivez aussi, mais je ne peux me résoudre à vous tuer. Je vous défie à un duel jusqu’à l’agonie. Je combattrai à mort votre compagnon adoré et vous laisserai à tout jamais mutilée, à moins que je ne meure en essayant. »
Mara ne pouvait refuser ce défi. Elle appela Uldren, et avec la cruauté qu’elle n’avait plus peur de montrer, elle lui indiqua qu’il allait prendre sa place dans un combat à mort contre Sjur Eido.
« Nous ne pouvons tout jouer sur un seul combat, déclara Uldren à celle qui souhaitait se venger depuis si longtemps. La chance aurait un rôle bien trop important à jouer. Une rancune si ancienne mérite d’être correctement mise à l’épreuve. Je propose que nous nous battions avec des lames, des fusils et des appareils de supériorité aérienne de cinquième génération. »
Sjur Eido accepta ces termes.