Il fut annoncé qu’Esila, fille de Sila, avait reconnu le parfum de Sjur Eido, car les odeurs sont gravées au plus profond de la mémoire. Esila parla à la Reine Nguya Pin de la présence de cette ancienne héroïne à sa cour. Tandis que la Reine Pin réfléchissait à la manière d’honorer cette visiteuse, et ruminait sa vengeance pour cette présence non annoncée, un espion l’informa des intentions que Sjur Eido avait fait connaître aux scribes de Gensym.
Les nombreux scribes furent troublés par cette nouvelle, car ils avaient autorisé Sjur Eido à traquer et tuer Mara Sov. Si Sjur Eido assassinait une invitée de la Reine sous l’autorité des scribes, une guerre serait déclarée et c’en était fini de la découverte de l’espace pour les Éveillés. Des historiens furent appelés à la cour avec des bouquets de fleurs douces et de l’argent leur fut offert afin qu’ils parlent de Sjur Eido. « C’était l’une des Paladines de la Reine Alis Li, mais c’était une Eccaléiste qui croyait que nous serions un jour amenés à rembourser le don de notre éveil. »
« Braverait-elle la protection de la Reine pour assassiner une invitée de la cour ? », demandèrent les scribes.
« Oh, sans aucun doute, répondirent les historiens en riant. C’était une terreur. »
Les scribes commencèrent les préparatifs pour fuir la cour de la Reine, car ils sentaient que la victoire de Sjur Eido leur serait reprochée. Constatant l’incertitude ambiante, de nombreux entrepreneurs et fournisseurs vitaux se retirèrent du programme spatial. La Reine dénonça les scribes de Gensym pour leur comportement déloyal et égoïste, et ses fidèles Eccaléistes s’irritèrent contre la majorité sanguine qui avait sabordé leur rêve d’envol. Un foyer s’en prit à un autre, les sœurs s’attaquèrent aux frères, les épouses aux épouses. La totalité du monde avait le poing serré.
Pendant ce temps, Sjur Eido et Uldren s’affrontaient sur un filet de lianes tressées au-dessus d’un bassin d’eau lourde. La lumière des réacteurs de la Reine scintillait au-dessous d’eux alors qu’ils prenaient position. Uldren portait une cuirasse en céramique blanche par-dessus sa combinaison en soie noire à franges. Il maniait un couteau fractal dont le tranchant était pratiquement trois fois plus long que la lame. Sjur Eido se battait dans l’armure à pression bleu-gris des Paladins, le blason de l’Étoile des Huit décrets sur la poitrine.
Avant le combat, Sjur Eido arracha le fin voilage sur le recoin du jardinier et observa Mara Sov. « Avez-vous peur ?, murmura-t-elle dans un mélange de haine et d’admiration. Transpirez-vous ? Avez-vous le souffle coupé ? »
Mara appuya sa main sur la visière de Sjur et ne laissa aucune trace. Elle porta le gantelet de Sjur à son cœur afin que Sjur puisse entendre ses pulsations et son souffle réguliers. « Vous ne ressentez rien pour lui ?, demanda Sjur avec insistance. Cela ne vous fait rien si je l’estropie ? »
« Vous posez les bonnes questions, répliqua Mara, mais au mauvais membre de la fratrie. »
Sjur comprit alors qu’elle combattait un homme qui exprimait son amour à travers la perte et l’épreuve.
Elle s’inclina face à Uldren et dégaina son couteau. Uldren s’inclina à son tour pour se moquer d’elle. Ils combattirent sur la toile de lianes en formant lentement une spirale, se déplaçant comme des araignées, étudiant les mouvements de la toile sous leurs pieds qui signaleraient un moment de vulnérabilité. Puis vint le saut, la confrontation, le flou des lames. Le coup bas direct de Sjur Eido rencontra le théâtre d’illusions d’Uldren. Le concept du combat au couteau pouvait se résumer à la prise et l’abandon d’espace. Aucun d’eux ne s’abandonnerait à la proximité, à l’étreinte, à l’échange de coups fou provoqué par l’adrénaline qui les tuerait tous les deux.
Uldren commença à découper les lianes essentielles qui assuraient l’équilibre de Sjur Eido, et elle le contra en le chargeant pour lui faire perdre ses appuis. Ils finirent par tomber tous deux dans le bassin de liquide de refroidissement. Ce combat s’était terminé sur une égalité, mais ce n’était que le premier des trois.