Et c’est ainsi que les Éveillés divisés se divisèrent à nouveau, entre les natifs du Récif et ceux de la Terre. Ceux qui partirent s’en furent écumer les ruines d’un passé perdu et porter secours à leurs cousins humains qui s’accrochaient à ce monde hostile. Les Éveillés approchèrent les humains comme des nephilims, dotés d’armes perdues et d’un savoir médical et industriel oublié. Ils représentaient les augures de l’espoir, car on les prenait souvent pour des colons nés dans les étoiles et rentrés au foyer. Ce n’était, après tout, pas si loin de la vérité. Tous ceux qui les observaient comprirent que le ciel nocturne n’abritait pas seulement la mort imminente. Ils se reproduisirent entre eux, et parfois même s’hybridèrent avec les humains. Au fil des siècles, nombre d’entre eux oublièrent le Défluent et même le Récif. Cependant, il y avait toujours dans leur âme, une envie, un vecteur pointant vers un endroit distant de la Ceinture d’astéroïde, où leur Reine résidait toujours.
« Ils ont déjà changé les choses, explique Sjur à Mara peu de temps après que les premiers Éveillés n’arrivent sur Terre. Ils sauveront tant de vies rien qu’avec la provision de médicaments, d’eau fraîche et de matériaux de construction, que même s’ils meurent tous à la fin de l’année, ils auront sauvé dix ou vingt humains chacun. »
« Je sais, répondit Mara fière et amère. Que l’on s’en souvienne comme de saints et de paladins, et ne dites à personne combien ils auraient pu en sauver d’autres s’ils avaient gardé la foi. » Car elle connaissait la valeur de chaque vie des Éveillés. Elle savait combien elle devrait en sacrifier et déplorait les pertes survenues pour un objectif secondaire.
Les Déchus attaquèrent le jour où Mara fut proclamée Reine. La chose fut rapidement décidée, sans réel débat, car tous étaient effrayés par un monarque capable de s’adresser à eux dans leurs pensées. Cependant, ils redoutaient encore plus de lui refuser le pouvoir et la souveraineté, car c’était en son nom qu’ils avaient voyagé entre les mondes. Lui refuser ce titre reviendrait à réfuter leur choix.
« Éveillés, leur dit-elle, pour la première fois de ma vie, j’ai hésité à prendre le pouvoir, et maintenant un tiers de vous s’en est allé. Je ne peux refuser plus longtemps ce que le cosmos a fait de moi. Je suis votre seule Reine légitime. »
Elle savait qu’elle avait eu tort de prétendre être leur égale. Ce qui était vrai pour son frère l’était pour tous les Éveillés. Ils avaient besoin de secrets face auxquels s’émerveiller, de secrets qui rimaient avec la profonde énigme de leurs âmes. Ils ne pouvaient suivre ce qu’ils comprenaient entièrement.
Il y aurait un véritable couronnement plus tard, dans un endroit qui restait à construire. Par respect pour ce couronnement qui n’avait pas eu lieu, Mara ne porta pas de couronne. Plus tard, elle affirma que l’anneau de l’horizon des événements entourant l’univers observable était son diadème.
« Mes Tékiennes, dit-elle en rassemblant Kelda Wadj et les autres eutechs restantes, auront l’autorité absolue sur l’exploration de notre nouveau pouvoir, les reliques du Voyageur, et tous les domaines associés. Nous ne sommes plus dans un royaume de science pure, nous avons besoin d’un ordre de mystères et de sorcières pour s’en occuper. »
Moins d’une heure plus tard, un Ketch déchu abandonnait sa furtivité et entamait sa décélération vers l’astéroïde (4) Vesta. Les prédateurs à quatre bras avaient remonté la piste d’un vaisseau dirigé vers la Terre, malgré ses changements de direction irréguliers, et étaient parvenus jusqu’au Récif. Ils cherchaient la source de ces êtres bleus simiesques.
Une salve de canons à matière cohérente éventra le Ketch et le puissant vaisseau sombra extrêmement rapidement, la fureur ancestrale compressant la matière sous forme d’une tête d’épingle relativiste. Cependant, c’était un gâchis d’armes qui ne pourraient être rechargées, car le Baron aux commandes avait déjà dispersé ses Skiffs tels des graines camouflées. Les pilleurs déchus fondirent sur le Récif et se frayèrent un chemin en son sein. Les Éveillés, peu habitués à leur mortalité et terrifiés par l’idée de mourir, s’enfuirent.
Mara, Uldren et Sjur Eido en rassemblèrent autant qu’ils purent. Sjur combattait à l’aide d’une coque de combat alimentée, mais Mara devait sembler vulnérable, les cheveux gris, les traits tirés, s’élançant contre l’ennemi. Elle combattit avec un pistolet et une dague, et son frère se déplaçait tel un fantôme à ses côtés. Son peuple eut honte de sa timidité. Les Déchus n’étaient plus des prédateurs effrayants venus d’ailleurs, ils étaient une indignité, une véritable offense aux privilèges royaux et ne méritaient qu’un grognement et un tir de fusil. Les Éveillés virent en eux le désespoir : les Rebuts émaciés claudiquaient parce qu’il leur manquait des membres, les Vandales fuyaient le combat, ne cherchant qu’à piller les panneaux muraux pour satisfaire leurs Capitaines.
Sjur Eido, équipée de son armure, combattit le Baron déchu en apesanteur au-dessus de son Ténébrion et le tua net d’un tir précis qui traversa la plate et sa gorge. L’éther se dispersa dans le vide. Sjur se jeta sur le Ténébrion accroché à la coque du Feu sacré. Ivre de joie, elle découpa le canon du Ténébrion et plaça une charge à l’intérieur, sachant pertinemment que son prochain tir vengeur viserait le centre d’habitation principal du Feu sacré, et qu’elle mourrait à cause des conséquences catastrophiques engendrées par le tir manqué.
Le Ténébrion tira, la charge explosa, et Sjur Eido fut projetée saine et sauve.
« C’est là que j’aurais dû mourir », se dit-elle émerveillée alors que le visage souriant de sa Reine se formait dans son esprit.
Plusieurs événements d’importance à relever dans cette légende :
- La toute première attaque des Déchus sur le Récif est (difficilement) repoussée ;
- Mara Sov adopte officiellement le titre de Reine des Éveillés (jusqu’à maintenant, le titre était officieux et non-assumé) ;
- Le conseil des Tékiennes est officiellement créé par Mara ;