Revanche I

Légende 3 sur 11 de la série L'installation des Éveillés au Récif
 

Uldren retourna au Récif pendant la Longue Nuit Troublée, lorsque les Éveillés se blottirent dans leurs lits et leurs hamacs, se rassemblèrent dans les cavernes glacées et les cylindres d’habitat à demi éclairés, hantés par des visions et des présages. Des visages leur apparurent dans le tourbillon sublimatoire de la glace cométaire : les images et les portraits devinrent impossibles à distinguer de leurs homologues réels. Toutes les statues furent enveloppées, de peur qu’elles n’apparaissent comme des cadavres aux yeux des passants.1

Quelque chose avait changé en eux depuis leur retour du cosmos extérieur. Un bourdonnement de câble électrique parcourait les tendons de leurs mains, leurs mâchoires faisaient du bruit lorsqu’ils avalaient, et les éclairs de lumière, comme l’impact des rayons cosmiques, obscurcissaient leur vision. Il semblait à Mara qu’ils avaient plongé les pieds dans un océan de charges et levé la main vers un câble invisible au-dessus d’eux : comme s’ils étaient à nouveau en contact avec des forces immenses et opposées qui avaient laissé une trace ancienne.

« On dirait que j’ai le scorbut, grogna Sjur Eido qui n’avait jamais eu le scorbut de toute sa vie. Comme si d’anciennes blessures de mon âme se rouvraient. »

« Les gens n’ont de cesse de m’envoyer des notes », répondit Mara. Son détecteur avait péri pendant le transport, alors les notes lui parvenaient par les murmures et les morceaux de papier précieux. « Elles disent… J’ai vu votre visage dans mon rêve. J’ai vu vos yeux. J’ai entendu votre voix. »

« Alors il n’y a pas que moi. »

Uldren fut la seconde personne à lui faire une révélation ce jour-là. La première fut Kelda Wadj, la maîtresse du grand tout, l’une des recrues de Mara les plus joyeuses de l’expédition. Elle était maîtresse de la pédagogie et pouvait façonner n’importe quel esprit afin qu’il soit prêt à apprendre, capable de fondre n’importe quel fait en un fluide qui pouvait être versé. « Je reviens des laboratoires de Gensym, dit-elle, et nous avons appris quelque chose de merveilleux. Nous sommes tous un peu magiques désormais. »

« Dites-m’en plus. » Mara lui versa un petit verre d’eau cométaire glacée. « Qu’entendez-vous par « magiques » ? »

« Une sorte d’acausalité faible. » Kelda laissa tomber sa carrure de bulbe floral dans un hamac de plastiques enchevêtrés. « Ils ont projeté des rayons de neutrinos encodés à travers des volontaires, et on dirait que les motifs de dispersion résultants dépendant de l’état cognitif et émotionnel de la cible. C’est un constat très fiable, au moins quatre sigmas, mais la taille de l’effet est incroyablement petite. »

Mara assimilait la nouvelle en buvant un shot de glace antique fondue sur sa langue. « Acausalité. Vous voulez dire que quoi qu’il se passe, quelle que soit l’influence que nous avons sur, disons, les rayons de neutrinos, cela ne s’explique pas par les lois de la physique ? »

« Non, par aucune que nous connaissons. À première vue, cela semble aller à l’encontre de certaines lois de conservation, ce qui donnerait le tournis à Emmy Noether. » Kelda se souvient du nom de ses anciennes héroïnes physiciennes, même si elle est incapable de dire dans quelle direction se trouve le soleil.

« Une physique secrète. » Mara pense au Voyageur et à son fonctionnement. « Nous l’avons tous senti, non ? Nous savons que nous sommes… » Comment dire « piégés dans l’étreinte entre la lumière et l’obscurité » sans que cela sonne comme un mauvais présage, se demande-t-elle. « Nous sommes en contact avec certains éléments numineux. »

Kelda tendit le bras afin d’obtenir un nouveau verre d’eau. « La question est, votre Majesté… »

« Ne m’appelez pas comme ça. Nous sommes en démocratie directe ici. »

Kelda leva les yeux au ciel. « La question est, continuons-nous à penser ceci comme une science ? Devons-nous l’enseigner comme la physique ? La fermeture causale dit que tout ce qui arrive dans un système matériel a une cause matérielle. Cependant, si des structures symboliques de l’esprit déclenchent un effet matériel… ne devrions-nous pas appeler cela tel que c’est ? »

« La mort n’avait aucun territoire », murmure Mara.

« Pardon ? »

« Nous sommes sur le territoire de la mort maintenant. Nous sommes à nouveau en train de mourir. Nous étions immortels sur le Défluent, non ? Une certaine partie de nous était… en harmonie avec l’univers. Et maintenant que nous ne recevons plus le signal du Défluent, nous sommes en harmonie avec quelque chose de nouveau. »

C’est alors que l’écoutille fut claquée grande ouverte et qu’Uldren entra, un large sourire sur le visage, et serrant une poignée mousseuse de cytogel contre une entaille en travers de sa gorge.

« Des extraterrestres !, grinça-t-il. J’ai trouvé des extraterrestres et l’un d’eux m’a tranché la gorge ! »

  ◄ Légende préc.Légende suiv. ►

 

 

Références