Traînassant près de l’entrée d’un laboratoire de Gensym, l’homme empocha une pièce verte dans son tout nouveau cache-poussière, et s’assura que son Âme d’obsidienne était scellée. Il tripota le fermoir de son casque alors qu’une technicienne armée d’un bloc-notes se précipitait vers la porte. Elle entra et il la suivit de près. Les portes se refermèrent pratiquement sur lui, et la technicienne le remarqua en se retournant pour l’observer.
« Comment ça va ? », demanda l’homme de sa voix grave et modulée en la dépassant.
« Espèce de monstre », murmura la technicienne en partant dans l’autre direction.
L’homme s’arrêta pour consulter le planning des salles sur un écran à la réception, puis continua dans le couloir vers le laboratoire 3 plongé dans le noir.
À l’intérieur, Aunor l’Arcaniste praxique se trouvait entourée d’une constellation de projections holographiques fixées en l’air autour d’elle.
Elle remarqua l’homme du coin de l’œil et hocha légèrement la tête.
« Arcaniste », lâcha l’homme en guise de salutations.
« Arcaniste », répondit-elle en rapprochant une boucle vidéo qui se trouvait dans un coin. « Je n’en aurai plus pour longtemps. »
« Prenez votre temps, répondit-il en s’appuyant contre le mur opposé. J’ai toujours voulu voir l’Ordre au travail. »
« Je peux vous garantir que c’est tout à fait fascinant », répliqua-t-elle en écartant les bras afin de déplier l’enregistrement dans un espace tridimensionnel.
Le laboratoire fut envahi par la lumière et devint aussitôt la coquille brûlante et éventrée de la Prison des vétérans.
L’homme se tourna vers sa gauche et découvrit un visage familier et buriné qui fixait les huit Barons de la Côte enchevêtrée.
Cayde-6 tomba vers l’avant et leva une main. « Hé, tu peux m’aider là… copine ? » Son Spectre apparut dans une explosion éclatante de Lumière.
« Mise en pause de la lecture. » déclara Aunor. Le temps s’arrêta. « Confirmez ce que je suis en train de regarder. »
L’unité centrale de la Tour s’exprima d’une voix automatisée. « Enregistrement audiovisuel de la Spectre « Sundance », vue à la troisième personne ; date de l’enregistrement : il y a environ six mois. »
« Analyse de l’enregistrement pour une légère interposition de lumière. »
« Aucune découverte. L’enregistrement de ce Spectre provient directement de la banque de données du sujet et n’a pas été manipulé. »
« Reprise de la lecture. »
La plainte aigüe de l’arme du Fusilier fut le dernier son de l’enregistrement. C’était la dernière chose que la Spectre de Cayde avait entendue. La balle brisa le monde holographique autour d’Aunor et de l’homme, et le laboratoire 3 réapparut à sa place.
Aunor repoussa son manteau et croisa ses doigts couverts d’armure derrière son dos. « Pourquoi l’enregistrement s’est-il interrompu ? »
« Le sujet « Sundance » a subi une défaillance irrémédiable du système et a cessé l’enregistrement. »
« Les armes des Infâmes ne peuvent pas tuer un Spectre », déclara l’homme, s’éloignant d’un pas du mur et décroisant les bras.
Aunor l’ignora. « Cause du décès ? » reprit-elle.
« « Sundance » semble avoir été victime d’une seule blessure fatale d’une balle de Dévoreur, modifiée afin d’être tirée par un lanceur infâme. Projectile classifié comme ontologique. »
« Définition d’une balle de Dévoreur. »
« Charge similaire à la balistique d’une arme du malheur ou à un outil similaire de la Ruche. »
« Qu’en pensez-vous, Arcaniste ? », demanda Aunor à l’homme sans prendre la peine de se retourner.
« Le Télépathe ne s’est-il pas bâti un trône ascendant ? »
« Si. »
« Une fois cela fait, la fabrication de balles semble facile. »
« La logique de l’épée ne fonctionne pas ainsi. Le trône est venu après », répliqua Aunor. « Il a été bâti sur la mort de Cayde-6. Je n’ai pas bien saisi votre nom. »
« Finch », déclara l’homme.
« Finch », répéta sèchement Aunor.
Il pointa du doigt les affichages holographiques. « À quoi sert tout ceci? »
Les diverses interfaces et flux de données se reflétaient sur le casque noir poli d’Aunor. « J’enquête sur une éventuelle implication du héros de la guerre dans la mort de Cayde-6. »
Finch ricana. « Ne vont-ils pas vous pendre pour cela ? »
Aunor baissa les yeux au sol. « Vous seriez surpris d’apprendre ce que cette Cité laisse faire à un porteur de Lumière. »
« Je l’ai entendu dire. Et alors ? Le grand héros serait-il en réalité le méchant ? »
« Vous pourrez lire le rapport une fois qu’il aura été publié par l’Avant-garde. »
Finch hocha la tête. « Très bien. » Il se retourna pour partir, puis se ravisa. « Et que se passera-t-il s’il s’avère que le saint est en fait un pécheur ? »
Aunor ne prit toujours pas la peine de le regarder. « L’Ordre praxique n’hésite jamais, ne s’arrête jamais. Si nous pouvons prouver que vous avez nui à l’humanité ou à la Cité, peu importe que vous partiez vite ou loin. Nous vous rattraperons. Et vous devrez faire face au feu praxique. »
« Vous êtes quelqu’un d’effrayant. »
Elle se retourna pour le regarder droit dans les yeux. « Vous n’avez pas idée. »
Finch toussa et se dirigea vers la porte. Dans son dos, Aunor l’appela : « N’aviez-vous pas besoin du laboratoire ? »
« Je viens de me souvenir que j’ai à faire », répondit-il par-dessus son épaule avant de disparaître.
Les portes se refermèrent et Aunor se retrouva à moitié dans la pénombre, un océan de flux de données se reflétant sur son casque.
« Reprise de l’enregistrement », dit-elle.