Tout le monde a pu s’exprimer. Mia pose sa main sur la table froide.
« Nous allons procéder à l’évacuation. Xiana, appelez Babatunde et faites sortir le Duiker du forage. Je veux qu’il soit à l’abri pour sous-marins dans trois heures. Nous commencerons à placer les citoyens dans les capsules des dômes, et nous utiliserons ensuite les navires de haute mer pour les transporter aux points de récupération orbitale. »
Elle aime utiliser le terme « haute mer » même si les océans de Titan ne ressemblent en rien à ceux qui ont vu naître cette expression. « Nous évacuerons ensuite les équipages des navires. Et enfin nous. »
Ismail Barat ouvre la bouche, s’apprêtant à parler. Cette vision des fins poils de sa barbe immaculée murmurant les uns aux autres avant que tout ne débute ne la quittera plus.
Une alerte retentit dans son détecteur.
Et lorsque tout le monde à la table, hormis Ismail, sursaute, Mia sait qu’elle vient juste d’assister à l’explosion d’une bombe historique, un vent de changement irréversible.
« Subhanallah, lâche Ismail bien que l’arabe ne soit que sa troisième langue, bon sang. »
« Ce n’était pas une fausse alerte après tout », murmure Maury Yamashita.
Les alertes défilent dans l’esprit de Mia sur cet écran mental hallucinatoire qui s’adapte à sa vision normale sans jamais l’altérer. « VOYAGEUR QUITTE IO. TERRAFORMATION INCOMPLÈTE. ACCÉLÉRATION VERS LA TERRE. COMPORTEMENT SANS PRÉCÉDENT. »
Parfois, Mia pense pouvoir sentir bouger l’Arcologie du Nouveau-Pacifique sous ses pieds, comme si le moindre fléchissement de cette sous-structure de 160 mètres de plastacier et de feuilles métallifères qui arrimait l’Arcologie à la coque de glace se reflétait dans ses tendons. Ses os sont peut-être plus que de simples os, à l’instar de Xiana. Et quoi qu’il se passe, elle pense : de l’essence tombe du ciel ici, il fait -180 °C degrés dehors et peu importe si nous vivons confortablement, l’existence est précaire. Surtout pour les humains.
Et elle va désormais prendre fin.
Elle explique à son équipage ce qu’elle dira au maire. « Nous devons évacuer tous les habitants de cette ville. Où que se rende le Voyageur, cet endroit-là sera sûr. »
Elle regarde alors David Korosec, dont le surnom d’Honnête homme lui vient de sa théorie sur la moralité du Voyageur, la meilleure et la plus rigoureuse que l’humanité connaisse. « Le Voyageur nous protègera quoi qu’il arrive, n’est-ce pas ? »
David se tourne vers elle, l’honnêteté déchirante d’un enfant dans la voix.
« Oui, déclare-t-il, il ne peut rien faire d’autre. »