Tyrannicide III

Légende 9 sur 11 de la série La création de la Cité des Rêves
 

Mara et Sjur Eido sortent dans l’espace et s’éloignent de la coque, portant la combinaison pressurisée des Corsaires reliée par un mince câble de liaison. Les étoiles les encerclent, tels des bougies lointaines et les diadèmes de milliards de danseuses. Sjur Eido se rapproche de Mara et touche son casque. 

« Nous sommes seules. Qu’est-il arrivé, Mara ? Vous avez toujours été… »

« Réservée ? », suggère Mara.

« J’allais dire mystérieuse et solitaire. »

« Une épée peut faire partie d’une bombe si le coup qu’elle donne est le mécanisme de détonation, explique Mara. Le jeu d’automate cellulaire ne peut pas changer ses propres règles, mais il est possible de créer d’autres jeux à l’intérieur qui possèdent leurs propres règles et en tirent profit dans le jeu originel.1 »

« Super, répond Sjur d’un ton ironique. Vous savez, quand vous parlez comme cela, ce que vous dites en réalité c’est “Je ne veux pas être comprise, mais j’ai envie que les autres sachent qu’ils ne me comprennent pas”. »

« Oui, admet Mara, qui ajoute d’une voix rauque, Sjur, j’ai un secret, une chose que j’ai faite, et je ne sais pas si quelqu’un est capable de l’entendre sans me haïr pour toujours. »

« J’avais un secret moi aussi, lui rappelle Sjur, ce que j’ai fait2 »

« Ce n’est rien par rapport à ce que j’ai fait. Rien du tout. »

« Je vous ai haï pendant longtemps, puis j’ai arrêté. Je pense qu’il serait difficile pour moi de vous haïr à nouveau. » La main puissante de Sjur se pose sur le dos plus petit de celle de Mara. Elles s’élèvent en tournoyant, pivotant autour d’un axe situé entre elles, et déroulant peu à peu leur câble de liaison long d’un millier de kilomètres. « Voulez-vous me le dire ? »

« Non, répond Mara, mais je crois qu’il le faut. »

« D’accord. Votre Majesté, qu’avez-vous fait pour qu’Alis Li vous jette son thé à la mûre au visage3 ? »

« J’ai agi en premier, précise Mara avant d’expliquer la partie manquante de l’énigme, la première partie de la phrase :  J’ai créé les règles et les conditions initiales qui lui ont fait croire que c’était elle qui avait décidé. 4 »

Voilà comment cela se termine, là où le reste débute.

Sjur Eido la contemple en silence, sans expression. Les mains de Sjur Eido caressent la couture entre la combinaison de Mara et les pétales transparents de son casque. Il y a longtemps, elle a trahi son serment pour servir la Diasyrme, une femme qui s’insurgeait de la malédiction de la réalité physique et de la souffrance possible. Il y a longtemps, elle a gâché sa vie pour punir le pire crime qu’elle pouvait imaginer : le déni de la transcendante divinité à ceux qui auraient pu la réclamer.

« Vous êtes le diable en personne5, s’exclama Sjur. Vous êtes la puissance qui seule a créé la mort. Vous avez rendu le mal possible. Vous êtes sans doute responsable de plus de souffrances évitables que tout ce qui a pu exister. »

Mara est incapable d’approuver ou de réfuter d’un mouvement de tête.

« Mais, reprend Sjur, si vous ne l’aviez pas fait, nous ne serions pas ici. Je ne vois pas ce que vous auriez pu faire d’autre, si vous teniez à ceux que nous avions laissés en arrière. Si vous vouliez que nous puissions revenir en arrière et prendre part au combat. » Elle se penche en avant et dépose un doux baiser sur l’intérieur de son casque à l’endroit où il touche celui de Mara. Dans son esprit, cet endroit lié à tous les autres Éveillés, Mara ressent le toucher de ses lèvres.

Sjur prend tout à coup un air espiègle. « Vous savez, Mara, je ne pense pas que vous puissiez avouer une chose si ce n’est pour en garder une autre secrète. Que se passe-t-il vraiment ? »

 « De nombreux chemins mènent à la divinité. »  lui explique Mara. La ceinture d’Orion scintille sur son casque à l’instar d’une note de trois étoiles laissée par une entité de la Ruche tuée un jour par Sjur.  « L’un d’eux consiste à tuer tout ce qui peut l’être, afin qu’il ne reste que l’immortel. Celui que j’ai emprunté, principalement par accident, est autre. L’un de ces chemins est plus proche de l’épée, l’autre de la bombe. Si la bombe peut vaincre l’épée en suivant les règles de cette dernière, alors la bombe s’est assurée de sa prééminence. » 

« Cela ne fait rien, lâche Sjur en soupirant, vous avez vu des choses intéressantes surveillées par les Corbeaux récemment ? »

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Références