Les deux devinrent quatre, qui en appelèrent d’autres et devinrent huit. De cette manière, évoqués par leurs doubles, les dormeurs s’éveillèrent. Au fil du temps, les éveillés se répartirent sur toute la surface du monde, et ils furent 40 891. Ils burent la pluie douce et mangèrent des fruits de la forêt tandis que la lumière étoilée formait une nappe semblable à de l’huile transparente sur leur peau. Leur première langue fut le Langage, et leur première arme de chasse l’arc.
Désormais, les éveillés souhaitaient un nom pour désigner le Monde du Nonmonde. Les 891 dirent au 40 000 : « Que ce monde soit nommé Affluent, car nous rêvons d’un grand fleuve dont nous avons été séparés. » Mais les 40 000 étaient troublés, et demandèrent à connaître leurs ancêtres et l’endroit d’où ils venaient. « Nous ne nous sommes pas éveillés du sommeil dans lequel nous étions entrés, dirent-ils. Dans notre repos, nous avons traversé un terminus et notre atavisme1 a été sectionné. Comment est-ce arrivé ? »
Un conseil fut donc réuni à l’endroit où la rivière se recoupe, afin de déterminer la nature et le but de l’existence. C’est là que fut entrepris le premier recensement, qui dénombra 30 111 femmes, 10 295 hommes et 485 autres. Une peur surgit parmi les éveillés : les hommes et les autres allaient disparaître.
Alis Li parla la première devant le conseil, mais à la demande d’Uldren, nombreux furent ceux qui contactèrent Mara pour un conclave secret. Parmi eux se trouvaient Kelda Wadj, qui deviendrait la maîtresse du grand tout, et Sila, qui deviendrait la mère d’Esila.
Alis s’exprima : « Ce monde nous a été confié à la suite d’un contrat passé avec de grandes puissances, et dans ce contrat, nous avons cédé notre droit sur notre histoire. Nous avons abandonné ce qui nous a précédés, mais ce faisant, nous nous sommes défaits de toutes nos dettes. Regardez vers l’avenir ! Explorons ce cosmos naissant et réjouissons-nous de ses splendeurs ! »
Owome An, qui faisait partie des 40 000, contra ses arguments. « C’est endroit n’est pas notre foyer, expliqua Owome, nous devons retourner à l’endroit d’où nous venons. Je demande un vote. »
Mara s’exprima en secret : « Je pense que nous sommes venus ici pour trouver un havre de paix, mais que nous ne pouvons y demeurer pour toujours. Je me souviens que le danger était effrayant, que nous sommes nés de la mort. Je pense que nous devons nous réunir prudemment jusqu’à ce que l’heure soit arrivée. »
De ce conseil, huit verdicts furent prononcés, ainsi qu’un neuvième.
Premièrement, le peuple se nommerait désormais les Éveillés et il était immortel.
Deuxièmement, ce monde était l’Affluent d’un autre dont il était interdit de remonter la piste pour rejoindre le courant principal. Il convenait donc de l’appeler Défluent, car tel était le nom correct d’une rivière qui se sépare de sa source et n’y retourne jamais.
Troisièmement, les Éveillés devraient se multiplier dans des ventres de chair ou mécaniques, mais à la condition expresse d’une prévision minutieuse de l’impact sur la population et l’écologie, et uniquement sous la supervision des connaisseurs des bonnes technologies, car chaque nouvel enfant serait immortel.
Quatrièmement, ceux versés dans la bonne technologie devraient être proclamés et écoutés, afin que la eu-technologie soit préservée. Ils seraient nommés eutechs.
Cinquièmement, les femmes devaient s’occuper et protéger les hommes et les autres jusqu’à de nouvelles naissances.
Sixièmement, l’objectif des Éveillés devait être la connaissance et l’amour du cosmos.
Septièmement, les Éveillés avaient été créés à la suite d’un pacte avec la Lumière et les Ténèbres, mais ce pacte était clos et aucune dette ne pourrait en découler, hormis le devoir du Deuxième verdict consistant à rester sur le Défluent.
Huitièmement, les Éveillés étaient des êtres entiers qui existaient dans l’équilibre.
Neuvièmement, il n’y aurait aucun vote, et Alis Li serait reconnue Reine à la place. Sa première proclamation fut l’interdiction des secrets entre les Éveillés.
Alis connaissait l’existence du conseil silencieux autour de Mara, et bien qu’elle ne soit ni jalouse, ni effrayée, elle voyait cela comme une étincelle qui pouvait embraser la forêt.