N’oubliez jamais…
J’étais encore enfant quand mon père m’a donné la bête de guerre. Un mâle, que j’ai nommé Milos. Il était jeune et stupide, comme moi, les yeux grands ouverts et pourtant incapable de voir ce qu’il avait sous le nez.
En raison des exigences du trône, mon père avait toujours été absent, mais jamais cruel, alors je le pardonnais. À l’époque, il me montrait de l’affection par personne interposée et dépensait sans compter pour employer les meilleurs précepteurs et les meilleurs gardiens pour veiller sur moi. Il me couvrait de cadeaux extravagants. Milos est celui que j’ai le plus apprécié.
Milos et moi étions inséparables. Je passais tout le temps que je pouvais avec lui, de jour comme de nuit. Je l’entraînais. Je le laissais manger dans mon assiette. Aujourd’hui encore, quand je ferme les yeux, je peux sentir son corps, lové sur mon torse, sa tête enfouie dans ses pattes, le mouvement de sa cage thoracique à chacun de ses souffles, dans son sommeil plein de rêves.
Doit-on s’étonner que je me sois mise à l’aimer plus que mon père ? Milos était mon compagnon, fidèle et constant.
Jusqu’au jour où, revenant dans ma chambre après mes cours, je ne le retrouvais pas.
Une servante me remit une lettre scellée, sur laquelle mon père expliquait pourquoi il avait fait tuer Milos. J’ai fondu en larmes et je l’ai déchirée en mille morceaux.
En levant les yeux, j’ai vu que la servante pleurait elle aussi. J’ai compris que c’était elle qui avait dû procéder à l’exécution. J’ai pris sa main dans la mienne et j’ai dit : « Je te pardonne. »
Des mots que je jurais ne jamais plus prononcer à Calus.