Les Ombres avaient son Spectre. Elles avaient réussi à mettre la main sur une technologie d’entraves, une technologie praxique.
Il lui faudrait enquêter sur ce mystère à un moment donné. Si elle en réchappait…
Pas d’homme au Pistolet d’or, pas d’escouade, pas de renforts.
Elle avait suivi la piste d’un groupe de nouveaux Dredgen, prenant son Passereau par-delà le Pont véridien jusqu’à un laboratoire de Gensym local, mais les Ombres l’attendaient.
D’un poste d’observation dissimulé sur une passerelle en surplomb, une roquette tirée par un lanceur portatif avait oblitéré la route devant elle. Elle avait été projetée loin de sa machine.
Durant cette fraction de seconde, elle avait vu Bahaghari tenter de la saisir dans un rayon de Lumière, mais à la suite d’un sifflement caractéristique, une bande d’entraves avait réduit son Spectre au silence. Elle était déjà en pleine chute.
Elle s’était inclinée dans le vent hurlant afin de transformer sa descente en plongeon. L’impact à la surface et la température de l’eau la paralysèrent. Elle était transie de froid et des débris tombaient en masse dans le lac autour d’elle.
Elle entama une longue nage en direction de la rive, vers une route qui la mènerait à la passerelle.
—
Elle s’arrêta sur la passerelle, descendit de la Pique qu’elle avait volée, et regarda plus bas les débris du pont sur lequel elle s’était trouvée une heure plus tôt. Bahaghari n’était plus dans les environs, mais le viseur de son casque remarqua l’écho d’une décharge abyssale provenant d’un point de vue idéal pour un tireur d’élite. Cela semblait correspondre parfaitement au motif de tir d’une Comtesse SA/2 portative.
Elle l’envoya au Vagabond et en retour, il lui confia les coordonnées de trois lieux sûrs des Ombres dans la zone. Sans Bahaghari, elle devait saisir manuellement les coordonnées dans son interface de pistage.
Elle choisit la plus éloignée de son emplacement actuel et fit ronfler le moteur de sa Pique.
—
Au moment où elle arriva face à un entrepôt abandonné du Quartier 125, les Ombres avaient déjà demandé une rançon pour son Spectre sur plusieurs canaux de la Cité. Elles voulaient l’autorisation de sortir leurs vaisseaux interstellaires du système avant minuit, sans quoi elles tueraient Bahaghari.
L’Avant-garde ignora la menace. Elle ne négociait pas avec les renégats, pas même Osiris en personne, et ces Ombres n’étaient rien comparées à lui.
Le train magnétique en provenance de la base rugit sur les rails au-dessus d’elle. Le prochain train passerait à minuit.
Elle distinguait une lumière au dernier étage d’un bâtiment couleur rouille, et les silhouettes de plusieurs personnes.
« Je ne suis pas à cet étage », déclara Bahaghari. Aunor sursauta.
« Comment… »
« J’ai piraté l’entrave. C’est une technologie praxique. Nous avons un renégat au sein de l’Ordre. »
« On s’occupera de ça plus tard. Tu dis que tu n’es pas au dernier étage ? »
« Non. Au sous-sol. Sous la rue. Hormis nous, le bâtiment est vide. N’envisage même pas de t’y introduire, tu auras besoin d’une équipe. Ou d’un Gjallarhorn. »
« Je n’ai rien de tout ça, Bighari. »
« N’y pense même pas. »
« Je n’ai rien dit. »
« Tu ne m’appelles jamais comme ça à moins de t’apprêter à faire quelque chose de stupide. »
—
Elle n’avait encore jamais conduit de train magnétique. Elle aimait sentir la puissance qui se dégageait de la première rame, voir le monde filer à toute allure.
Le train était vide. Elle avait fait sortir tous les passagers et le conducteur avant de le réquisitionner. Il était possible d’inciter les gens à faire pratiquement n’importe quoi avec un sceau du Cormoran.
Le virage arrivait à grande vitesse. Elle pianota une commande à son poignet.
Une série de mines de proximité posées sur le rail et la barrière qui le soutenait explosèrent, et le train fut projeté en avant dans un nuage de feu et de fumée…
Plongeant droit sur un entrepôt couleur rouille qui se trouvait en contrebas
—
Elle pouvait voir tout ce que Bahaghari observait, même en étant morte.
Ceux qui se trouvaient dans le bâtiment eurent l’impression que la fin du monde était arrivée.
Mais son Spectre était libre et se dirigeait droit vers la première rame du train qui s’était empalé sur l’étage supérieur de l’entrepôt. Deux Ombres blessées, les seules survivantes, se trouvaient derrière lui alors qu’il atteignait le corps avachi d’Aunor, son œil étincelant de Lumière.
Aunor émergea dans une colonne lumineuse et se baissa pour esquiver le coup de poing fracassant d’une Ombre, frappant son ventre d’une paume incandescente. La brûlure traversa l’Ombre et Aunor fit une roulade vers l’avant dans le même élan afin d’éviter le tir tonitruant du révolver de la deuxième Ombre.
Elle stoppa net sa roulade pour lancer un violent coup latéral depuis le sol, brisant le genou sans armure de l’homme. Elle s’assit sur lui alors qu’il tombait et le matraqua de coups de coude rougeoyant jusqu’à ce qu’il perde connaissance.
Bahaghari vint derrière elle. « Il y a trois cadavres de plus… quelque part sous ce train. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Aunor se releva, couverte de sang et de cendres.
« On prend leurs Spectres. Préviens l’Avant-garde. Nous avons cinq renégats en détention. »
Aunor récupéra son long manteau dans la cabine du train. Il était franchement abîmé et salement brûlé. Elle l’enfila, remit en place son sceau du Cormoran et s’assit à côté des corps, attendant que les Spectres des prisonniers se matérialisent.
Sa radio émit un son.
« Aucune victime. Vous avez fait du bon travail », déclara Ikora.
« Parlez-vous en tant que responsable des Arcanistes ou des Clandestins ? », s’enquit Aunor.
« C’est votre amie qui vous parle. La situation vous avait échappé, mais vous avez corrigé le tir. Zavala et moi apprécions votre aide dans cette histoire. Il est impératif… »
« Que le Vagabond et le Gambit continuent. Je sais. »
« Aunor. »
« Oui. »
« Tout va bien ? Nous vous en demandons beaucoup. »
« Je ne tiens absolument pas à occuper votre place. Et la Cité a besoin des réseaux et des moyens de ce rat. S’il peut récupérer Orin… »
« Hmm. Nous continuerons cette discussion demain matin. »
Elle observa le rail du train incendié par la fenêtre et les ruines de l’entrepôt autour d’elle.
Elle supposa que c’était là sa vie désormais.