Le Kall

Légende 6 sur 13 de la série L'enquête de Lavinia sur les Neuf
 

Le Récif est sonné. Lavinia pense que la perte a mené les Éveillés à un état de fièvre traumatique collective. Des festivités sans fin illuminent le ciel pourpre. Des gens bondissent hors du monde et se laissent emporter par l’atmosphère artificielle, protestant vaguement lorsqu’un Skiff les récupère.

Lavinia ne se sent pas à sa place ici, elle est toujours à l’écart de tout. Toutes les nuits, le mal du pays lui enserre la poitrine, mais elle se persuade que le Récif est le bon endroit d’où débuter son voyage de retour. Ce rendez-vous pourrait bien en être le premier pas…

« Un grand deuil, murmure la Déchue à ses côtés. Maître Ives a été assassiné, Variks manque à l’appel. L’Araignée débauche mes amis. Et moi, je reste garder le travail de Maître Ives. Entrez, faites comme si on était chez vous. Je vais apporter le thé à l’azote et les dossiers. »

« Merci. » La faute de langage donne à Lavinia envie de rire, ou peut-être plutôt de pleurer. Si seulement cela pouvait être chez elle ! Mais tout ira bien. Elle trouvera les Neuf, rentrera chez elle en détenant la vérité et sera pardonnée.

La Déchue revient avec le thé et des appareils. « Regardez. Un enregistrement de la Prison des vétérans. Maître Ives était fasciné. »

Elle découvre Skolas, Kall déchu parmi les Kalls des Déchus, attendant de mourir au combat. Son imposante armure à cornes ralentit ses mouvements, comme un compagnon épuisé qui imite ses moindres faits et gestes. Un serviteur lui injecte de l’éther. Lavinia se demande ce qui lui arriverait si elle prenait de l’éther. Sentirait-elle une détermination froide mais lucide l’envahir ? Serait-elle transformée en immense Lavinia ? Arrêterait-elle d’avoir le mal du pays ?

« Mara. » La bouche de Skolas n’était pas faite pour prononcer ce nom. « Mara, m’entendez-vous ? »

« La Reine du Récif l’a condamné à subir le sort de tous les Déchus, soupire la voisine de Lavinia, lutter, se battre et échouer. Mais il était déjà perdu. Son esprit s’est brisé à la Citadelle, le jour où il a vu le temps.1 »

Skolas souffle de la vapeur blanche. Le givre crépite sur son masque. « Vous m’avez offert au Neuf et ils m’ont renvoyé. Les gens pensent que vous êtes une imbécile, que c’était une erreur de me libérer.2 Vous avez envoyé votre peuple périr sous mes coups, tout comme j’ai envoyé le mien périr sous les vôtres. »

Le traducteur de Lavinia murmure les mots du Kall en même temps que lui. « L’agent des Neuf ne m’a jamais dit pourquoi vous m’aviez libéré. Je le sais maintenant. Vous le savez aussi, du moins je le crois.  Vous avez tous besoin des Gardiens… et les Neuf ne peuvent appréhender la vie et la mort. Alors ils m’ont renvoyé vers vous, pour faire venir les Gardiens. Ils ne comprenaient pas le mal .

Je ne les comprends pas non plus. J’ai voyagé parmi les Joviens pendant des années, dans leur domaine, mais je ne connais pas les Neuf.  Vous, Mara Sov… vous êtes la seule à traiter avec eux. Vous êtes la seule à avoir anticipé leur rôle dans le jeu. Vous taisez vos victoires afin que le monde ne vous connaisse que pour vos erreurs.  Pas étonnant que je vous ai sous-estimée. »

Il soulève le canon brûleur confié par ses geôliers. Lavinia repense aux outils que la Maison du Kall privilégiait : métier à tisser et navette. «  J’ai vu la silhouette des Neuf sur Vénus, un endroit qui leur était autrefois précieux et où les vœux pouvaient métamorphoser leur chair. J’ai compris qu’ils sont liés à cette étoile et à ces mondes. Vous êtes assez semblables sur ce point-là, les Neuf et vous.  Mais pas moi. Je suis heureux de quitter ce monde, Mara Sov. J’en ai assez d’être un pion. »

Skolas repose son énorme tête cornue contre le mur de la cellule.

Prise par l’enthousiasme du moment, Lavinia renverse son thé. « Ils veulent nous aider, murmure-t-elle, ils viennent de nos planètes ! Ils veulent aider ! Oh, pardonnez-moi ! Je suis si maladroite… »

Elle se penche pour essuyer le thé renversé. Une grenade aveuglante lui explose au visage. Tout ce dont elle se souvient ensuite, c’est qu’un officier éveillé la condamne, sous la loi martiale, à la prison à vie pour espionnage.

Lavinia, cherchant un quelconque signe de sa bonne fortune, est ravie de constater que la Déchue est libérée.

Commentaire

Deux informations importantes sont a retenir.

D’un côté, on a une nouvelle fois l’indication que Xûr a été créé par le biais d’un voeu ahamkara. De l’autre on a enfin une explication concernant la relaxe de Skolas juste avant les événements de la Maison des Loups (Mara offre Skolas aux Neuf, les Neuf le relâchent, Skolas mène la révolte et se proclame Kall des Kalls).

Voir : Mémoire de Spectre : les Déchus 3

En relâchant Skolas, les Neuf ont cherché à initier un rapprochement entre Gardiens et Eveillés. Depuis qu’elle avait indiqué à notre Gardien l’emplacement du Jardin Noir, nous lui étions redevables. Si elle avait besoin d’aide, se serait vers nous qu’elle se tournerait. Et ce faisant, l’alliance entre les deux humanités se solidifierait, et c’était ce qu’il fallait pour affronter la suite (l’arrivée d’Oryx).

Le seul problème, c’est que dans cette histoire, les Neuf (étant des intelligences incorporelles) n’ont pas réalisé pleinement la souffrance que cela impliquerait (en raison de la mort de nombreux Éveillés lors de l’attaque de Skolas).

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Références