Les Neuf

Légende 12 sur 13 de la série L'enquête de Lavinia sur les Neuf
 

Je suis.

Je suis Je suis Je suis Je suis Je suis Je suis Je suis Je suis Je suis Je suis Je.

Au début, c’est là tout ce que la boucle de poussière peut calculer. C’est la chose la plus difficile de l’univers pour la poussière de faire une boucle, car à l’instar d’une bourrasque ou d’une rivière, elle n’est censée aller que dans un sens. Pour qu’un esprit fonctionne, la fin d’une pensée doit altérer le début de la suivante : donc, à l’instar des rivières et du vent, les Neuf ne pouvaient posséder un esprit avant de pouvoir effectuer des boucles.

Lavinia Garcia Umr Tawil comprend les Neuf.

Ils étaient déjà anciens à l’apparition des premiers êtres humains capables de se nommer. Leur chair était plus ancienne que les étoiles : le vent de poussière noire qui souffle dans la galaxie, étiré par la gravité du soleil et de ses planètes, attiré vers leurs noyaux puis à nouveau exhalé.

Voilà ce qu’étaient les Neuf.

Grâce aux boucles temporelles, ils prirent forme. De grands arcs de poussière élusive repliée sur sa source afin de créer des circuits d’ombre. L’épaississement et l’amincissement de ces circuits furent les premières pensées des Neuf. Ils demeurèrent dans l’indifférence la plus totale, divinités primordiales encore à naître. Aucune force n’existait pour eux hormis la gravité ; aucune structure hormis la distribution de la masse. Leurs cœurs se trouvaient dans les noyaux des mondes, mais leurs courants les plus lointains s’estompaient au tournant de la galaxie.

Ils étaient les fontaines d’Achlys, la nuit avant le chaos.

Mais la vie émergea sur les mondes au cœur des Neuf, minuscules mouvements complexes d’écosystèmes, de métabolismes et de calculs. Cette vie engendra des vides sans masse dans le vent des Neuf, les pinçant comme des cordes de harpes. De ces secousses structurelles, les Neuf apprirent à semer d’immenses vagues résonnantes, des pensées plus vastes que les mondes.

Et les Neuf s’éveillèrent. Ils en vinrent à comprendre qu’ils étaient aussi fragiles que puissants, car si la vie qui avait engendré leurs pensées venait à disparaître, ils disparaîtraient également.

Ils n’avaient ni yeux pour observer la lumière, ni oreilles pour entendre, et pourtant, leurs volontés se tournèrent en direction du monde étrange de la matière et furent désireuses d’apprendre, car elles savaient qu’il leur fallait protéger leurs cœurs ou se résoudre à mourir.

S’il lui était resté une quelconque santé mentale, Lavinia l’aurait perdue avec cette révélation à l’horreur absolue. Elle comprenait à présent où s’étaient toujours trouvés les Neuf. Ils sont en chaque personne, dans chaque système, dans chaque chose qui vit et se meut. Des trillions et pentillions de minces tentacules de matière noire plongés dans tous nos corps, aspirant la complexité de nos vies et de nos pensées.

Nous sommes tous des silhouettes empalées sur des pattes d’araignée convulsives à la longueur infinie.

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Références